« Etre Arabe en Israël »

Fawzi Al-Asmar, L’hioth Aravi B’Israël, édité par Israël Sahahak, Jérusalem, 1975. Edition anglaise : To Be an Arab in Israel, Frances Pinter, London, 1975.

En août 1968, Fawzy El Asmar était arrêté, par ordre administratif en vertu des fameuses lois d’urgence des autorités coloniales britanniques que l’Etat d’Israël applique toujours. Point de procès, ni d’accusations formulées contre lui. Après quinze mois de détention il était relâché, mais relégué à la ville de Lydda où vivaient ses parents, et cela en vertu d’un autre paragraphe de ces mêmes lois d’urgence. Il était forcé de rester dans la maison de ses parents qu’il avait quittée depuis des années, coupé de son emploi comme journaliste à Tel-Aviv. Au lieu de sombrer dans le désœuvrement, il se mit à écrire ce document unique. Bien que Fawzy El Asmar soit un poète, ce livre n’est pas une œuvre d’art ; bien qu’il soit un homme politisé, ce livre n’est pas un traité de théorie politique ni une polémique. C’est un récit simple et personnel d’un homme qui grandit comme un exilé dans son propre pays ; la force du livre et en quelque sorte sa beauté résident dans sa manière directe et humaine, sans prétention. C’est comme un pastel. L’amertume qui aurait été parfaitement compréhensible est étonnement absente.

L’auteur était âgé de dix ans quand Lydda fut conquise par l’armée israélienne. Il y eut beaucoup de victimes parmi les habitants dont la majorité fut chassée au delà des nouvelles frontières et devinrent des réfugiés. Le quartier dans lequel il vivait fut toutefois épargné, probablement parce que la plupart de ses habitants, tel le père de Fawzy El Asmar, travaillaient aux chemins de fer. La partie la plus émouvante de ce livre est peut-être les souvenirs de l’enfant de dix ans qui se rappelle les horreurs commises. A la différence de la plupart des Arabes en Israël, qui continuaient à vivre dans des villages arabes, F. El Asmar grandit dans une ville où ne restèrent que peu d’Arabes, et il était mêlé davantage, depuis son plus jeune âge, à la société juive. Avant de terminer l’école secondaire il travailla pendant un an dans un kibboutz du Mapam. Plus tard, il s’installa à Tel-Aviv où il eut plusieurs emplois, travaux manuels ou de bureau. Il devint finalement journaliste, d’abord dans le mensuel en langue arabe du Mapam et ensuite dans le magazine arabe publié par Uri Avneri.

Cette période est décrite en détail dans le livre. Ni le Mapam ni Avneri n’en sortent sans dommage. L’auteur n’accuse pas ; il ne fait qu’exprimer sa déception devant l’hypocrisie condescendante de ces sionistes ou crypto-sionistes qui prétendent « défendre la minorité arabe ». Les kibboutzim du Mapam participent à l’expropriation des terres arabes, et lorsque la guerre de 1967 éclate, l’hebdomadaire hébreu d’Avneri devient hystériquement chauvin et appelle à une « marche sur Damas ». Tout de suite après la guerre, Avneri vote à la Knesseth pour l’annexion de la Jérusalem arabe. On comprend bien qu’Avneri ait été si offensé par le livre de Fawzi El Asmar. Dans une critique publiée dans Haolam Haze du 25 juin, Avneri attaque le livre avec violence et essaie de justifier sa manière de réagir aux atrocités israéliennes — la démolition de villages palestiniens immédiatement après la guerre de 1967 et le massacre de réfugiés palestiniens qui voulurent revenir — par des appels officieux auprès de l’establishment sioniste plutôt que des condamnations publiques et la lutte ouverte. « Le succès de nos efforts à empêcher d’autres atrocités et destructions, écrit Avneri, est dû à la confiance qu’avaient en moi la plupart des ministres, et au fait qu’ils nous croyaient  des  patriotes  soucieux  de l’image  d’Israël. »

Mais c’est la naïveté excessive de Fawzy El Asmar qui me surprend. Il ne semble pas avoir compris à cette époque qu’il avait affaire à des mouvements qui faisaient partie du sionisme ou en étaient les apologistes. Après la guerre de 1967, ses opinions politiques subirent une transformation. Alors qu’il avait été auparavant un membre du groupe nationaliste arabe « El Ard », il évolue maintenant vers la gauche et devient socialiste.

Etre Arabe en Israël raconte la lutte de la génération de Fawzy El Asmar. Ce n’est pas le récit extérieur des événements mais le récit de l’intérieur de quelqu’un qui les a subis.

Ilana Machover

« Etre un peuple en diaspora »

Richard Marlenstras, « Etre un peuple en diaspora » , François Maspero, Paris, 1975.

Comment être un peuple en diaspora ? Comment la communauté des Juifs d’un pays donné peut-elle se forger un avenir commun au-delà « des structures contraignantes » que sont la religion et le sionisme ?

Pour Richard Marienstras, on peut naître Juif mais on le devient au travers aussi de la culture de son pays d’origine, surtout en Occident plongé dans la crise des valeurs. A ses yeux, le nationalisme, le sentiment d’appartenir à un groupe humain qui partage un certain nombre d’expériences, n’est pas un fait qui peut et doit se limiter à une génétique végétative et passive mais un devenir qui se construit. L’Etat d’Israël « apporterait aux autres un surcroît d’être » mais il ne saurait être le pôle qui fait tourner les communautés juives dans le monde car chaque communauté se forge son destin propre, sa culture et ses aspirations, chaque communauté est essentiellement différente en dépit de ce qui peut la rapprocher des autres.

Ce nouveau destin d’une minorité consciente lui semble possible et riche de promesses car tout est à inventer dans ce monde en crise, car la communauté juive, française en particulier, n’a jamais été aussi nombreuse et diverse, car enfin cette minorité venue d’un peu partout ne saurait déposer ses revendications aux pieds de l’Etat qui ne dispose d’aucun arsenal particulier à son égard. Tout ne dépend donc que d’elle, de sa volonté d’agir et de se trouver, elle est maîtresse de son destin au-delà de toute structure traditionnelle.

Livre intéressant et complexe qui mérite d’être lu. Pour nous, il est seulement dommage que l’auteur ne critique ce piège qu’est le sionisme pour tant de Juifs que d’une façon très humaniste, sur le plan de la culture, sans jamais sembler vouloir aborder le fait que cette forme de colonialisme qui opprime un autre peuple ne saurait libérer ceux qui le servent, mais ce n’était sans doute pas là que résidait pour lui ie nœud du problème.

Mikhal Marouan

Livres reçus

— Moucin Hamoud, Les Palestiniens au Liban, Ed. Ibn Khaldoun, Beyrouth, 1973.

— Bilal Hassan, Les Palestiniens au Koweit, Centre de Recherches palestiniennes, Beyrouth, 1974.

— Hani Mendes, Le travail et les travailleurs palestiniens dans les camps, Centre de Recherches palestiniennes, Beyrouth, 1974.

[voir le suivant : Lettres a « Khamsin »]