Les sources utilisées pour cette étude sont en premier Heu le long article de fond de Jacqueline FARHOUD JRAISSATY, « Le Peuple palestinien en chiffres », Chou’oun Falastiniyah, n° 4142, janvier 1975 (en arabe), dont nous avons extrait la plupart des tableaux, et aussi des commentaires ; cet article lui-même repose sur les données contenues dans E. KHOURI, Statistiques palestiniennes, Centre de recherches de l’O.L.P., Beyrouth, juin 1974 (en arabe). Nous avons également utilisé A. B. ZAHLAN, « Palestine’s Arab Population», Journal of Palestine Studies, n° 12, été 1974, et Bassam SIRHAN, « Palestinian Refugee Camp Life », Journal of Palestine Studies, n° 14, hiver 1974, ainsi que les Annuaires statistiques d’Israël.

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Le but de ce chapitre est de présenter le réel social des Palestiniens dans sa dispersion, avec des indications chiffrées sur l’évolution, ou plutôt les évolutions démographiques, le niveau de l’enseignement, la population active, sa répartition socio-professionnelle et la différenciation en classes sociales. Plusieurs difficultés méthodologiques surgissent. Le réel de dispersion et de déchirement social que vit le peuple palestinien dans son émigration forcée a produit des statistiques différenciées et dispersées. Les recueils statistiques et les autres études faites dans les pays où vivent les Palestiniens traitent le réel de ce peuple à travers leurs propres réels, donc dans la mesure où ce réel les touche directement, ignorant ses caractéristiques propres. En outre, les statistiques, comme chacun le sait, recouvrent une réalité ou expriment une volonté politiques (les statistiques de la Jordanie ne font pas la distinction entre Palestiniens et Jordaniens ;les sources israéliennes incluent la Jérusalem arabe annexée et ses environs dans la statistique d’Israël, et non pas dans la Cisjordanie — par exemple).

Dans la première partie de notre étude, on donnera un aperçu général sur les Palestiniens dans le monde. Puis des données plus détaillées sur les Palestiniens dans six pays et régions arabes qui sont les seuls à fournir des données statistiques relativement complètes : Israël, Cisjordanie, Gaza, Liban, Syrie et Koweït. Dans les autres pays, nous ne possédons que des chiffres partiels, ne rendant nullement compte de la véritable présence palestinienne.

a) Les Palestiniens dans le monde

La migration forcée subie par le peuple palestinien en 1948 a tranché le problème de sa dispersion et la destruction de ses liens sociaux. La répression sanglante a forcé son émigration vers les régions arabes avoisinantes. Puis a commencé une suite d’émigrations sans fin : migrations internes, à l’intérieur des pays arabes, pour regrouper les Palestiniens dans des camps déterminés, afin de contrôler de près leur action, empêchant ainsi des possibilités d’évolutions politiques dans lesquelles les Palestiniens ont joué et jouent encore un rôle déterminant. Plus tard, des migrations internes plus limitées ont eu lieu, faites par des familles pour se regrouper, ou à la recherche d’un emploi. En même temps, l’organisation d’aide au réfugiés (U.N.R.W.A.) rayait délibérément de ses registres un grand nombre de Palestiniens sous divers et vagues prétextes. Les migrations externes, vers les lieux de travail : l’éloignement forcé du paysan de ses moyens de production — la terre surtout — a fait que l’instruction est devenue le seul domaine d’investissement économique. De là, les pays du golfe, en particulier, et les autres régions arabes et étrangères sont devenus les seuls champs d’activité économique possibles. Ainsi commencèrent les migrations externes qui ne firent qu’accentuer la dispersion du peuple palestinien et sa répartition sur de larges étendues, difficiles à circonscrire. Et, en l’absence du regroupement palestinien au niveau politique — qui n’est apparu qu’après l’essor de la résistance en 1965 —, la dispersion est devenue la source d’un désordre statistique, du moins en ce qui concerne des données vraies et précises (sans oublier qu’il n’existe aucun recensement statistique dans de nombreux pays où résident des Palestiniens). C’est pour cela que le tableau 1 ne présente que des données approximatives.

 

Dans ce tableau, nous distinguons deux niveaux : le chiffre statistique, qui est le chiffre fourni par les statistiques des différents pays arabes ainsi que les estimations de ce chiffre pour les pays qui n’en donnent aucun ; et l’estimation plus précise, où nous avons corrigé certaines erreurs visibles.

Le tableau 1 estime à 2 967 352 le nombre de Palestiniens dans le monde. Ce chiffre approximatif peut être acceptable dans la mesure où les dernières estimations portent à trois millions un quart le nombre de Palestiniens dans le monde.Pour parvenir à ce chiffre, nous avons dû réajuster les chiffres statistiques :

1) « Israël » ajoute 60 000 personnes au nombre des Arabes en Palestine occupée (1948), ce nombre est celui des habitants de la Jérusalem occupée en 1967. Nous l’avons donc retranché du chiffre des Arabes en Palestine occupée pour l’ajouter à celui de la Cisjordanie occupée en 1967 (Voir note du tableau 1).

2) Les statistiques israéliennes ajoutent au nombre des habitants du secteur de Gaza celui des habitants du nord du Sinaï (El-Arich et le reste des régions égyptiennes occupées). Ici, aucun ajustement du chiffre statistique n’a été fait. D’abord à cause de l’inexistence d’une source statistique précise, ensuite parce que nous estimons que cet additif ne fausse pas le chiffre d’une façon exagérée, vu la très faible densité des habitants de cette région.

3) Le chiffre statistique des Palestiniens de la Jordanie est obtenu à partir de l’estimation selon laquelle 60 % des habitants de cette région sont des Palestiniens. Le recensement général jordanien de 1961 porte à 900776 les habitants de cette région, soit 540465 Palestiniens. Si nous considérons un accroissement annuel de 3 % entre 1961 et 1970, ce chiffre est alors aux alentours de 700 000 en 1970. Quant à l’estimation plus précise elle vient de l’étude de Nabeel Shaath (Nabeel SHAATH, « High Level Palestinian Manpower », Journal of Palestinian Studies, vol. 2, hiver 1972).

4) Le chiffre statistique correspondant au Liban, qui estime à 133 695 le nombre des Palestiniens résidents, est la somme de deux chiffres : d’une part celui de l’étude sur les Palestiniens dans les camps : 90 600 (Elias KHOURI, Statistiques palestiniennes, op. cit., p. 208),  d’autre part le chiffre de 43 095 hors des camps, cité par la même enquête (Enquête par sondage sur la population active au Liban, vol. II, Direction générale de la statistique, ministère du Plan, 1971). Quant à l’estimation, elle provient également de l’étude de Shaath.

5) Quant aux autres chiffres : Arabie Saoudite, pays du golfe, Irak, Égypte, Libye, États-Unis, Amérique latine et Allemagne occidentale, ils proviennent tous de l’étude de Shaath.

b) Quelques caractéristiques démographiques plus précises

Une première constatation : près de la moitié des Palestiniens vit sous l’occupation israélienne (48 %), l’autre moitié dans les pays arabes (51 %) et 1 % encore dans le reste du monde.

Dans les six régions étudiées, le poids des Palestiniens est loin d’être négligeable : 2,8 % de la population globale du pays en Syrie, 8,6 % au Liban, 13 % en Israël, 17,7 % au Koweït (ils sont, bien entendu, la totalité en Cisjordanie et à Gaza). Leur pourcentage est encore plus élevé en Jordanie, autour de 50 %, sans qu’on puisse l’évaluer avec certitude. Le Koweït est un cas particulier : plus de la moitié de la population de ce pays sont des étrangers, et les Palestiniens à eux seuls sont près de 40 % rapporté à la population d’origine. La dispersion concentrée des Palestiniens fait d’eux un facteur économique, et partant politique, qui est loin d’être négligeable.

Parmi les six régions étudiées, dans deux seulement on trouve une population suffisamment stabilisée pour qu’on puisse calculer un taux de croissance naturel (Israël, Syrie). Pour la population palestinienne sous occupation israélienne depuis 1948, celui-ci est de 4,1 % par an (1950-1972, en excluant l’adjonction statistique de la Jérusalem arabe). En Syrie, le taux de croissance naturel de la population est de 3,7 % par an (1951-1969). Ce sont là des taux de croissance élevés, parmi les plus forts du monde (selon les estimations de l’O.N.U., trois pays seulement présentent des taux plus élevés : Koweit, les émirats arabes unis et Qatar, mais ce sont des pays avec une très forte immigration). Le phénomène est tout à fait caractéristique d’une population qui bénéficie d’un accès, même limité, aux méthodes modernes, en l’occurrence dans le domaine de la santé, mais dont l’évolution des structures sociales reste par ailleurs bloquée.

Dans les camps de réfugiés au Liban, la situation ne serait pas fondamentalement différente : « Le taux de naissance est élevé déjà parce que l’âge moyen de mariage dans les camps palestiniens est relativement jeune : 24,5 ans pour les hommes et 21,6 ans pour les femmes. Peu nombreux sont ceux en âge de mariage (20 ans et plus pour les hommes, 15 ans et plus pour les femmes) qui restent célibataires : 17,7 et 24,3 % respectivement. Parallèlement, le taux de divorce est très faible : parmi les hommes de 15 à 39 ans, il n’y avait pas de divorcés ; parmi les femmes en dessous de 39 ans, le pourcentage des divorcées par rapport aux femmes mariées allait de 1 à 7 %. La stabilité des mariages arrangés et la force de la pression sociale et familiale sur les couples mariés pour qu’ils restent ensemble se reflètent dans ces chiffres » (Bassam SIRHAN, op. cit. Les statistiques proviennent de l’enquête par sondage libanaise).

Deux indicateurs démographiques précieux de la situation spéciale des Palestiniens déchirés entre les divers pays : la pyramide des âges et la proportion hommes/ femmes par classe d’âge. Près de 60 % de la population ont moins de 20 ans, ce qui est une population jeune, même comparée à d’autres pays en voie de développement. La pyramide des âges démontre des distorsions graves entre les régions étudiées, surtout pour la population masculine. Seuls les Palestiniens vivant en Syrie et en Israël ont une répartition par âge plus ou moins normale (à cause des faibles mouvements migratoires) ; on trouve, par rapport à cette répartition « normale », les déformations suivantes dans les quatre régions étudiées, affectées par les migrations touchant les classes d’âge les plus sensibles (20 à 40 ans) (voir tableaux 2-3).

Ainsi, dans les trois régions où les hommes partent à l’extérieur en quête d’un travail (Liban, Cisjordanie, Gaza), les pourcentages sont bien en dessous de la normale. Le manque d’hommes est le plus marqué dans la bande de Gaza pour la tranche d’âge entre 25 et 35 ans. A Koweït, un des pays d’accueil des immigrés palestiniens, la proportion est inversée.

La situation est similaire pour le rapport numérique entre hommes et femmes dans les classes d’âge critiques :

Ainsi, pour prendre les extrêmes, dans la bande de Gaza, on trouve dans la tranche de 25 à 30 ans presque deux femmes pour un homme. A l’inverse, au Koweït les hommes en âge de travailler dépassent les femmes, avec un maximum pour la tranche d’âge entre 45 et 50 ans : plus de trois hommes pour une femme. On s’imagine facilement la misère sexuelle et affective engendrée par de tels déséquilibres, et la misère tout court qui a poussé les hommes à s’éloigner de leurs foyers (outre les départs forcés). On se rend compte aussi combien est cruelle et inhumaine la politique des autorités sionistes qui empêchent le retour dans les territoires occupés des membres de la famille qui s’étaient expatriés à la recherche d’un emploi, et pour qui la conquête de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en 1967 a introduit une rupture prolongée avec la famille (la seule voie de réunification qui leur reste ouverte à l’heure actuelle est l’expatriation des membres de la famille restés en Palestine).

c) Les camps palestiniens au Liban

Avant de passer à l’étude globale de la population active, il nous paraît indispensable de rapporter quelques éléments chiffrés sur la population palestinienne qui vit dans les camps au Liban. On ne dispose malheureusement pas de renseignements chiffrés et sociologiques comparables pour les camps des autres pays.

On connaît simplement la répartition générale dans l’ensemble des camps de réfugiés de la région, selon le rapport de l’U.N.R.W.A. (voir tableau 4).

Concernant le Liban plus particulièrement, on s’attachera davantage à quelques données quantitatives précises qu’à une description des camps déjà connue par des films et divers documents. Leurs habitants, fait remarquer B. Sirhan, ne peuvent pas être assimilés du point de vue social aux habitants des taudis de grandes villes occidentales, car leur organisation sociale suit davantage la structure villageoise. «En effet, ils sont groupés autour  des villages palestiniens d’origine et les grandes familles restent la cellule de base de la vie sociale. C’est ainsi que beaucoup de villages occupés par la force, vidés de leur population et démolis en Palestine, restent sur le plan social des unités vivantes et cohérentes. Ils n’ont perdu ni leur conscience sociale ni les liens de famille et de village, et, s’ils devaient retourner demain, ce facteur social d’une extraordinaire ténacité serait d’une importance capitale pour la reconstruction rapide de la société palestinienne » (B. SIRHAN, op. cit., p. 101-102).

Les conditions de vie dans les camps se sont améliorées sur certains plans (adduction d’eau et installations sanitaires en général), mais se sont détériorées sur d’autres plans, surtout à cause de l’encombrement croissant. Dans beaucoup de camps qui subsistent, comme c’est le cas au Liban, la population a doublé au cours des années (on cite l’exemple du camp de Karameh près de Beyrouth, qui, prévu pour 5 000 habitants, en accueille maintenant 17 000). Il ne s’agit pas seulement de la croissance naturelle de la population, mais de l’afflux d’habitants à certaines périodes : Palestiniens bien sûr, mais aussi Libanais et Syriens, chômeurs venus surtout du Sud-Liban — zone incessante de combats — et peut-être du Golan. On compte ainsi 11 500 non-Palestiniens dans les camps proches de Beyrouth. Cette interpénétration entre populations locales et palestiniennes misérables est un nouveau facteur politique au Liban qui a eu son expression dans les récents affrontements dans ce pays.

Il existe dix-sept camps au Liban et les conditions de vie y sont à peu près connues. La superficie habitable par personne est faible : 34 % des « maisons » ont moins de 30 m² pour une moyenne de 4-5 personnes ; 56 % ont entre 30 et 80 m² pour une moyenne de 7,5 personnes, soit 3,7 personnes par pièce.

Dans le domaine de l’enseignement, il existe une discrimination criante à l’égard des Palestiniens, qui ne sont pas admis dans les écoles publiques du Liban, quel qu’en soit le niveau de l’enseignement, à la différence de ce qui se passe en Syrie, Egypte, Jordanie, Irak et aussi au Koweit (écoles de l’O.L.P., subventionnées par le gouvernement). Jusqu’à 5 ans, il n’y a rien pour les enfants. 64 % seulement de la population d’âge scolaire fréquente effectivement l’école, allant de 88,4 % pour la classe d’âge de 6 à 11 ans, pour tomber à 8,3 % pour la classe d’âge 18 à 20 ans.

C’est un pourcentage faible pour une population de réfugiés, dont l’ouverture vers une activité économique normale est largement bloquée, et qui attache de ce fait une grande importance à la scolarisation des enfants. Il en résulte un degré d’analphabétisme important, beaucoup plus marqué chez les filles :


d) La population active

Avant d’essayer de donner une image de la population active palestinienne, il faut souligner qu’il est difficile de parler d’une activité palestinienne. Dans les pays arabes, la population palestinienne est très souvent dans une situation précaire. On sait que 80 % de ceux qu’on appelle les réfugiés étaient des paysans ou des ouvriers non qualifiés, et que leur insertion dans la vie économique des pays où ils ont trouvé asile s’est avérée difficile sinon impossible. Il n’y a pas de vie économique palestinienne proprement dite, mais une participation à l’activité économique des différents pays. Il n’y a pratiquement pas — sauf dans les territoires occupés — de propriétaires palestiniens de moyens de production. Les « exploiteurs » sont des étrangers — Israéliens au premier chef, puis Libanais, Koweïtiens, etc.

Emploi et chômage

Le tableau 7 permet de relever les caractéristiques suivantes :

— Si nous considérons le taux d’activité comme le rapport de ceux qui travaillent au total de la population palestinienne étudiée, nous remarquons qu’il est extrêmement faible : 19,2 % pour les cinq régions étudiées en 1970, soit une personne sur 5,3 qui travaille pour subvenir aux besoins économiques de toute la population. En détail, ce taux s’élève à 27,9 % au Koweit (une personne serait économiquement responsable de 3,5 personnes, taux élevé, car le Koweit représente la seule « société pour le travail » parmi les régions et pays de résidence étudiés). Ce même taux s’abaisse dangereusement jusqu’à 16,1 % dans le secteur de Gaza où une personne subviendrait aux besoins de 6,2 autres. Ce phénomène peut s’expliquer par plusieurs facteurs, dont les plus importants sont la grandeur de la famille — une grande partie de la population est en dehors du potentiel actif —, le chômage et le chômage déguisé, ainsi que la non-déclaration du travail pour une partie de la population qui exerce un commerce interdit avec l’Égypte ou la rive orientale du Jourdain.

— Le taux de population active — rapport de ceux qui travaillent et de ceux qui cherchent un emploi à l’ensemble de la population étudiée — est de 20 % pour l’ensemble de l’échantillon en 1970. Ce taux extrêmement faible est dû en partie à la propension des Palestiniens à poursuivre leurs études, seul champ d’investissement économique pour l’avenir, et au très faible taux d’activité féminine.

— Pour parvenir à une vision plus précise, nous étudions le taux de population active par rapport au potentiel actif humain (+ de 14 ans), ainsi nous éliminons de nos calculs la large marge dés Palestiniens de moins de 14 ans. Nous obtenons une moyenne de 38,2 % pour les cinq régions étudiées en 1970. Plus de 60 % des Palestiniens potentiellement actifs ne travaillent donc pas. Cette forte proportion diminue au Koweit où 43,1 % ne travaillent pas, mais s’élève à Gaza jusqu’à 68,2 %.

— La même opération faite pour étudier le taux d’activité — ceux qui travaillent — par rapport au potentiel actif, révèle un grand potentiel humain paralysé.

— Le taux de chômage — rapport de ceux qui cherchent un emploi au total de la population active — est de 4,2 % en moyenne. Plus de quatre personnes qui veulent travailler sur cent ne trouvent pas d’emploi. Ce pourcentage est plus faible en Israël (3,4 %), suite au boom économique qui a suivi la guerre de 1967 (il était de 10,5 % en 1961).

Le chômage revient essentiellement aux caractéristiques de l’emploi dans chaque pays ou région de résidence. Mais, si les taux de chômage que nous donne le tableau 7 paraissent assez faibles, il ne faut pas s’y laisser prendre : un grand nombre de ceux qui ont déclaré un travail sont des ouvriers saisonniers de l’agriculture, du bâtiment…

 

Répartition de la population active par secteur d’activité

Le tableau 8 montre la répartition par secteur des activités économiques exercées.

— La répartition en trois secteurs principaux d’activité économique donne 27,1 % dans l’agriculture, 29,9 % dans l’industrie et le bâtiment et 41,7 % dans les services. A première vue, cette répartition serait révélatrice d’un Pays de notre région : hypertrophie du tertiaire, large base agricole et absorption par l’industrie et le bâtiment d’une assez forte proportion de la population active. Maïs ces chiffres sont trompeurs et n’ont aucune valeur pour présenter la répartition de la structure économique d’une société donnée. Il faut les examiner par pays ou région.

— Au Koweit, la proportion des Palestiniens qui travaillent dans le secteur primaire est quasi nulle (2,2 %). La majeure partie travaille dans l’industrie et le bâtiment (33,5 %) et surtout dans les services (63,6 %).

— En Syrie également, très peu travaillent dans l’agriculture (8,5 %), alors que le secteur secondaire absorbe 42 % des travailleurs palestiniens et le tertiaire 48,8 %.

— La situation est très différente en Cisjordanie et à Gaza qui sont des parties essentielles de la société palestinienne originelle et où le nombre des Palestiniens est grand. Ces deux régions gardent les caractéristiques d’une société intégrée, avec les particularités de l’occupation et de l’émigration forcée. La répartition se fait un tiers par secteur, avec un secteur tertiaire sensiblement avantagé à Gaza. Remarquons également que la répartition dans le secondaire entre industrie et bâtiment se fait toujours au profit du bâtiment.

— Les chiffres pour Israël sont donnés à titre indicatif ; il faut ici étudier l’évolution dans le temps (baisse de l’agriculture, augmentation du bâtiment et des services— voir plus loin l’article de L. Rozensztroch).

Au Liban, plus de la moitié des réfugiés n’ont pas de travail. Beaucoup de ceux qui ont trouvé un emploi sont moins payés que leurs homologues libanais, ne bénéficient Pas de la sécurité sociale — bref, ce sont les travailleurs « immigrés » du Liban. Ils doivent également posséder une carte de travail, qui n’est délivrée qu’à Beyrouth et coûte cher. Il semble que seulement 2 362 cartes aient été délivrées à des Palestiniens, ce qui confirme la précarité de leur situation au Liban. La discrimination est quasi totale et touche aussi les couches plus aisées : un Palestinien qui veut ouvrir un commerce doit prouver qu’il possède 50 000 livres libanaises (Hani MENDES, Le Travail et les travailleurs palestiniens dans les camps, Centre de recherches palestinien, 1974). D’autres secteurs d’activité leur sont interdits : les banques, l’enseignement officiel, les institutions gouvernementales, et même — semble-t-il— le métier de chauffeur de taxi. Ils fournissent, plutôt une main-d’œuvre non qualifiée d’appoint pour l’agriculture, le bâtiment ; de plus, ce qui est noté dans les statistiques comme « commerce et hôtellerie » correspond en fait aux petites échoppes des camps. Les maigres salaires servent à nourrir plusieurs personnes (un salaire pour près de six personnes, cf. tableau 7). Le pourcentage d’emploi chez les jeunes est quasiment nul ; chez les hommes, le maximum d’emploi se trouve dans la tranche d’âge 30-39 ans. Mais beaucoup sont des travailleurs journaliers. 

Le statut d’occupation (employeurs, travailleurs indépendants, salariés)

L’étude du statut d’occupation donne des indications plus précises sur la structure de classe du peuple palestinien. Les divergences des sources statistiques ne rendent pas aisée la comparaison ; pour autant qu’elle soit possible, elle fait ressortir la différence dans la structure de classe entre une société de réfugiés (Palestiniens au Liban), d’immigrés (Palestiniens au Koweit), une société plus ou moins intégrée mais spoliée de l’essentiel de ses terres (Palestiniens en Israël) et les Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie où des réfugiés subsistent à côté d’une structure palestinienne intégrée.

L’enquête par sondage sur la population palestinienne dans les camps fournit une image croisée par statut d’occupation et secteur d’activité (tableau 9). Il en ressort une proportion anormalement élevée de travailleurs journaliers (58,5 % de l’emploi total), qui sont le plus souvent des travailleurs saisonniers. Situation hautement précaire pour ceux des Palestiniens des camps qui ont la chance de trouver un travail (taux déjà faible, à peine 18 % de la population, cf. tableau 7).

Le tableau 10 fournit une indication supplémentaire de la structure sociale déformée du peuple palestinien. Malheureusement, la distinction n’est pas faite entre emploi permanent et emploi saisonnier. Toujours est-il que le pourcentage de salariés est très élevé dans les pays de refuge et d’émigration de travail, avec le maximum au Koweit (89,6 %). Pour les Palestiniens sous occupation israélienne depuis 1948, le pourcentage de salariés reste élevé (72,6 %), à cause du processus de prolétarisation forcée, suite à la spoliation des terres dont sont victimes les Palestiniens. A Gaza, la proportion est plus élevée qu’en Cisjordanie. La raison en est le plus fort contingent de réfugiés, d’une part, et l’existence d’une agriculture de plantations d’agrumes qui emploie une main-d’œuvre salariée. Mais même en Cisjordanie la proportion de salariés dans la population en emploi reste élevée (49,3 %), en comparaison de la situation dans la majorité des pays en voie de développement (selon S. Amin, la proportion des salariés dans les sociétés dépendantes varie entre 1 et 30 % ; c’est la prédominance des artisans, petits commerçants et petits paysans).

On remarquera aussi la très faible proportion d’employeurs (industriels, gros propriétaires terriens, gros commerçants) qui s’explique, bien entendu, par la difficulté que rencontre la bourgeoisie palestinienne à s’affirmer en tant que telle dans les pays d’émigration, de refuge ou sous occupation. Nous ne disposons malheureusement pas d’une distinction entre travailleurs indépendants (professions libérales, artisans, petits commerçants et petits paysans) et patrons dans les territoires occupés. En effet, c’est là que subsiste le contingent le plus important de la bourgeoisie palestinienne, hormis la Jordanie pour laquelle on manque totalement de données statistiques séparées concernant les Palestiniens (voir plus loin l’article de J. Hilal, « Les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza »).

Enfin, à ce stade de la prolétarisation forcée, le poids économique de la population féminine tend à diminuer ; c’est dans l’agriculture traditionnelle que les femmes jouent un rôle important, d’où le pourcentage plus élevé des femmes dans la population active en Cisjordanie que partout ailleurs.

Les professions

La nomenclature standardisée des professions individuelles ou catégories socio-professionnelles du Bureau international du travail (B.I.T.), qui a aussi servi à l’établissement des statistiques palestiniennes dans ce domaine, met davantage en relief le statut social que les classes ou catégories socio-économiques. Elle est en général mal adaptée pour les pays dépendants. Ces statistiques ne sont utiles que comme indicateurs d’une ligne générale.

La répartition des professions pour les cinq régions et pays étudiés en 1970 est la suivante : les artisans, ouvriers, de l’industrie et travailleurs du bâtiment représentent 36,5 %, les agriculteurs 26,9 % et les professions relatives au secteur des services 20,2 %, dont plus de la moitié (10,62 %) dans le commerce. 9,2 % exercent des professions techniques et libérales.

Cette répartition n’a de portée significative réelle qu’étudiée en détail, comparativement à la vie économique spécifique à chaque région ou pays de résidence des Palestiniens. Mais nous pouvons relever que la proportion des professions techniques et libérales (9,2 %) est élevée, même comparée à celle du Liban (9,8 %), conséquence du niveau élevé d’instruction parmi les Palestiniens.

La plus forte proportion de ceux qui exercent des professions techniques et libérales se retrouve au Koweït, avec 20 % du total des professions : c’est au Koweït qu’émigrent la plupart des Palestiniens qui ont suivi de hautes études, par manque d’autres débouchés. Par contre, si la proportion de cette catégorie est nulle au Liban, nous l’expliquons par l’inexistence de professions techniques et libérales pour les habitants des camps.

En Syrie, nous relevons une forte proportion d’artisans, travailleurs de l’industrie et du bâtiment : 54,5 %. Mais, si nous revenons à la répartition par secteur d’activité, nous découvrons que, si 22,8 % travaillent dans l’industrie, 19,2 % travaillent dans le bâtiment et les travaux publics.

La proportion moyenne de ceux qui travaillent dans l’agriculture paraît anormalement faible, cela tient à l’inexistence de celle-ci au Koweït (2,3 %) et à la très faible proportion de ceux des Palestiniens qui y travaillent en Syrie (8,6 %). Mais cette proportion s’élève en Cisjordanie à 39 % et dans le secteur de Gaza à 31,4 %.

[voir l’article suivant : 4. Les palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ‒ par Jamil Hilal]