Introduction

Il est exact que l’avenir palestinien a été et reste au centre des préoccupations de l’extrême-gauche anti-sioniste d’Israël. La perspective de négociation globale ouverte après la guerre d’Octobre couvre aussi la Palestine. Forcément. L’extrême-gauche anti-sioniste se devait de prendre position. C’est ce qu’elle fit. Au moment d’écrire ces lignes, Israël est passé d’une situation d’après-guerre à une atmosphère d’avant-guerre dont nous ne savons pas si, quand et contre qui elle aura lieu ; mais qu’il s’agisse seulement de ” préparatifs ” en vue d’une ” guerre ” éventuelle ne change rien à la toile de fond d’un arrangement négocié. Vu du côté israélien, on a nettement l’impression que ” préparatifs ” et “guerre ” éventuelle ont pour but d’améliorer la situation pour les négociations à venir. Aussi n’est-il pas faux d’affirmer, en dépit des sables mouvants de la situation politique et militaire au Proche-Orient, que le débat en cours sur l’avenir palestinien garde toute sa valeur — cinquième round de guerre ou non.

Si l’extrême-gauche anti-sioniste n’était pas déjà si divisée, le débat sur l’avenir palestinien aurait fourni l’occasion d’une scission de fond, étant donné la divergence des vues. Dépassant, tout en l’abordant, la question immédiate — pour ou contre l’État palestinien étriqué en Cisjordanie et à Gaza —, la discussion a porté sur les points qui concernent en premier lieu le mouvement révolutionnaire :

— quelle attitude adopter sur le principe même d’un arrangement négocié, où les deux Super-Grands pèsent de tout leur poids (ce qui ne signifie pas nécessairement, contrairement à l’impression que donne la lecture de la grande presse, qu’ils soient pour un tel arrangement global) ;

— examen critique de la ligne politique poursuivie par le mouvement révolutionnaire jusqu’à présent (le fait même que la seule “issue ” soit une guerre au niveau des Etats avec des armées régulières, et non point une lutte populaire, constitue déjà un échec pour le mouvement révolutionnaire) ;

— quelle stratégie révolutionnaire proposons-nous (ici aussi, le fait même que, dans une situation aussi brûlante que celle du Proche-Orient, il n’y ait pas une alternative internationaliste mobilisatrice des masses renferme déjà une condamnation du mouvement révolutionnaire) ?

De par l’ampleur du débat engagé, il garde son actualité et son côté instructif pour le mouvement révolutionnaire mondial.

Avant d’analyser les positions de l’extrême-gauche antisioniste, il est utile de résumer le climat général en Israël, tel qu’il apparaît au niveau des forces politiques (après tout, nous ne sommes guère connus du grand public), sur les deux points essentiels qui nous concernent : attitude face à un arrangement politique ; reconnaissance de l’existence du peuple palestinien et éventuellement d’un État palestinien. Nous analyserons par ailleurs plus en détail la situation politique en Israël. Suffit-il de dire ici que la classe politique a apparemment su convaincre l’opinion publique qu’une nouvelle guerre était nécessaire avant qu’un arrangement ne puisse intervenir ? Avant 1967, on a su créer un enthousiasme pour la guerre, si la “gauche ” sioniste se voulait alors modeste avec ses slogans comme ” Il n’y a pas d’alternative ” (Ein Breirah) ou “Vainqueurs malgré eux “, le sentiment dominant et de loin était : Y’mei HaMashiah Ba’ou — ” Les temps du messie sont arrivés “. Rien de tel maintenant. La victoire fulgurante de 1967 et sept ans d’occupation ont laissé une marque indélébile sur la société israélienne où scandale succédait à scandale, les fameux Méhdalim de la guerre d’octobre 1973 étaient dans la logique des choses. Pour beaucoup la guerre est maintenant davantage subie qu’acceptée, et la presse israélienne souligne l’influence croissante des éléments religieux qui, eux, gardent la foi dans l’idéal.

Sur le front palestinien, une clarification est intervenue dans l’évolution des esprits en Israël. Au fur et à mesure qu’une prise de conscience nationale s’est affirmée dans les territoires arabes occupés, beaucoup de sionistes qui “jouaient ” avec l’idée d’un peuple palestinien avec des droits nationaux en Palestine se sont retranchés derrière un barrage infranchissable de conditions préalables (il doit s’agir de “bons ” Palestiniens, “modérés “, reconnaissant non seulement Israël tel quel, mais le sionisme, renonçant pour toujours à toute autre revendication “arabe ” que celle accordée, etc.). Le changement a commencé avant la guerre d’Octobre. Le premier test populaire a eu lieu au printemps 1973, au moment des raids sur Beyrouth et de l’assassinat des trois dirigeants d’El-Fath. Un vaste mouvement populaire de solidarité et de protestation éclatait dans les territoires occupés. Le laborieux échafaudage de notables et de ” bons ” Palestiniens commençait à s’effriter. Parallèlement s’organisait le Front national palestinien qui devint le point de ralliement de l’opposition à l’occupation. Pendant la guerre d’Octobre, les quelque 50 000 Palestiniens des territoires occupés travaillant dans le secteur juif refusèrent de se rendre à leurs lieux de travail. Après la guerre d’Octobre, lorsque la représentativité de l’Organisation de libération de la Palestine était discutée sur le plan international, le Front national palestinien déclarait de son côté reconnaître en l’O.L.P. le représentant du peuple palestinien. Au printemps 1974, conscientes de l’enjeu, les autorités israéliennes déclenchèrent une vague de répression massive : expulsion de dirigeants palestiniens, arrestations sur une large échelle (896 arrestations selon les sources officielles citées par le Times du 24 août 1974), tortures systématiques. Sur le plan politique, le gouvernement israélien mit fin, provisoirement, à l’intérieur de la classe politique israélienne, aux discussions portant sur d’éventuelles négociations avec les organisations palestiniennes. Pour la première fois depuis la guerre de juin 1967, le cabinet israélien eut, le 21 juillet 1974, une discussion approfondie (qui devait durer sept heures) sur l’attitude à adopter envers les Palestiniens. La décision arrêtée fut : refuser toute négociation avec les Palestiniens ; la prochaine étape devant être de négocier avec le royaume hachémite ; on ne peut admettre que deux États indépendants — Israël et un État jordano-palestinien sur son flanc est.

On peut l’affirmer maintenant : en dehors de l’extrême gauche anti-sioniste, très peu nombreux sont ceux en Israël qui sont prêts à vivre en paix avec les Palestiniens jouissant de la plénitude de leurs droits non seulement civiques, mais aussi nationaux. Beaucoup de ceux, la vaste majorité, qui parlaient dans le passé d’une entité palestinienne espéraient susciter une couche dirigeante de ” bons ” Palestiniens maniables ; le but était de diviser les Palestiniens ; d’autres, enfin, utilisent le slogan de la reconnaissance d une entité palestinienne comme arme de propagande et article d’exportation. Avec la médiocrité des résultats enregistrés (les Palestiniens ne ” comprennent ” pas, ils ne sont pas ” reconnaissants “, ils ne savent pas ” apprécier leurs amis “), le manque de sincérité de ces colombes devient chaque jour plus évident, mis à part quelques individus.

1. La tâche des révolutionnaires israéliens et palestiniens

(Prises de position de l’Alliance communiste révolutionnaire Maavak et de la Ligue des ouvriers communistes palestiniens)

Comme pour le camp palestinien, on peut diviser l’attitude de l’extrême-gauche antisioniste israélienne en une aile “réaliste ” et une aile ” maximaliste ” (on sait que les dénominations de ce genre ne sont jamais ni tout à fait exactes ni neutres du point de vue de l’appréciation ; on aurait pu opposer révolutionnaire-démagogique, opportuniste-révolutionnaire, ligne de masse-ligne sectaire ; ce qui importe, à notre avis, c’est de savoir qui prend en considération les données changeantes de la situation et les vœux des masses, tels qu’ils s’expriment, bien imparfaitement).

Dans le camp ” réaliste ” une position très nette a été prise par l’Alliance communiste révolutionnaire — Maavak, qui a publié au printemps 1974, conjointement avec un groupement palestinien (la Ligue des ouvriers communistes palestiniens), une brochure intitulée La Question palestinienne et le Droit d’autodétermination.

Autocritique et polémique

La brochure s’ouvre par une autocritique qui, comme souvent, ne dédaigne pas la polémique. Ici, l’autocritique polémique est nettement en rupture avec un certain passé idéologique, elle se veut dirigée et contre les courants trotskystes et contre les courants maoïstes. Le point de départ est une analyse de la guerre d’octobre 1973 :

“Il s’est avéré que la bourgeoisie arabe est une réalité vivante, qui n’est pas forcément caractérisée, comme nous l’avions cru, par son “impuissance” et son “incapacité”. Les régimes nationalistes de l’Égypte et de la Syrie ont réussi, tout en s’appuyant sur la technologie soviétique, à prendre l’initiative d’une guerre limitée et coordonnée contre Israël. Ils ont tenu durant dix-huit jours de bataille, la retraite ordonnée en Syrie et la percée du front égyptien ne changent rien au fait que ces deux pays ont constitué une menace militaire réelle pour Israël et l’ont plongé dans une grave crise économique. La bourgeoisie financière arabe — les forces réactionnaires — a, quant à elle, démontré qu’elle était capable de s’allier temporairement aux régimes nationalistes arabes, tout en introduisant ses propres projets financiers dans la stratégie globale de l’impérialisme américain contre la concurrence japonaise et européenne. La réaction arabe est parvenue, par ailleurs, à tirer un profit politique de la situation en améliorant sa position dans le monde arabe (une nouvelle image patriotique), et a su obtenir des gains politiques limités pour l’ensemble des pays arabes sur le plan international.”

Le potentiel de développement des bourgeoisies arabes aurait été sous-estimé, même et surtout par l’extrême gauche (on verra plus loin que c’est effectivement le cas d’un certain courant trotskyste), et ce faisant une stratégie erronée fut élaborée. Parallèlement, il y avait tendance à exagérer la puissance d’Israël, mais ce fait était moins important — ce n’est pas là que réside la “nouveauté ” mise en lumière par la guerre d’Octobre ; d’ailleurs, la surestimation d’Israël n’était pas l’œuvre des forces révolutionnaires israéliennes. Au contraire, elles n’avaient cessé de mettre en garde contre les illusions de grandeur. La dernière guerre a davantage révélé la dépendance étroite envers l’impérialisme U.S., qui, loin de lâcher l’État sioniste (cette dépendance rend Israël encore plus désireux de servir les intérêts nord-américains), diversifie ses axes de pénétration : “[…] étant donné la nouvelle politique impérialiste américaine — pénétration et non plus défense des positions acquises —, l’importance de 1′ “homme fort” diminue au profit de 1′ “homme sage” (Sadate, Feyçal, Yamani) “.

Polémique et autocritique deviennent plus vives quand on passe à l’analyse du rôle de l’U.R.S.S. (généralement attaquée sur sa ligne de “coexistence pacifique “) et des forces révolutionnaires arabes :

“Il s’est avéré que le gouvernement soviétique n’est pas toujours opposé à une action militaire, et que la conception soviétique de “coexistence pacifique” avec les ennemis de l’humanité et de collaboration avec l’impérialisme américain n’excluent pas des actions militaires limitées (rappelez-vous le Bangla-Desh). Il s’est également avéré que, tout en reconnaissant sans restriction l’Etat d’Israël, l’U.R.S.S. ne se prive pas d’appuyer politiquement et militairement ses alliés arabes.

Il s’est avéré aussi que les forces révolutionnaires socialistes dans l’Est arabe, qui ont prôné dans leur lutte la thèse (erronée) de la bourgeoisie arabe qui va “dévoiler son vrai visage” en capitulant devant Israël, par son abandon des tâches nationales ou dans la défaite (au cas où elle oserait lutter), ces forces révolutionnaires ne sont pas à même d’influencer les événements de façon décisive. Au début de la guerre, la bourgeoisie arabe a pu s’assurer l’appui de la plupart des forces de gauche dans le monde arabe, en dehors de quelques groupuscules d’intellectuels. Après dix-huit jours de bataille, au cours desquels Israël essuya les premiers revers qu’il ait connu depuis sa fondation, et lorsque cette même bourgeoisie accepta le cessez-le-feu (dans des conditions imposées par Israël sur le champ de bataille et par l’ “équilibre de forces international ‘ — et les décisions 338 et 339 du conseil de sécurité), les forces de gauche se rendirent compte de leur faiblesse. Elles ne pouvaient pas imposer à la bourgeoisie une “continuation de la lutte par la guerre populaire” ; les masses dans les pays arabes n’y étaient pas prêtes et ne le demandaient pas. L’amertume qui s’empara des masses arabes s’exprima seulement parmi les Palestiniens et dans la gauche libanaise, et quelques manifestations de protestations eurent lieu. Tout cela fut de courte durée et avait plutôt une valeur symbolique. Il s’est avéré qu’une bourgeoisie existait et qu’elle tenait de surcroît la situation bien en main. Les condamnations les plus violentes du défaitisme de la direction bourgeoise arabe venaient du côté des démagogues de droite comme Khadafi ou El-Bakr, dont les mobiles sont si douteux qu’il est superflu de souligner le côté intéressé de leur intervention.

Nous avons ignoré ces faits, comme l’ont fait beaucoup de socialistes révolutionnaires de la région, jusqu’à la guerre d’Octobre. Trois raisons principales à cela :

a) Le dogmatisme qui s’exprime par une croyance religieuse selon laquelle les pays colonisés n’ont aucune possibilité de développement économique dans le cadre du monde capitaliste. L’axiome s’est répandu que l’industrialisation n’est pas concevable sans la victoire de la révolution socialiste, et c’est bien là l’origine de l’aveuglement étonnant devant la réalité de l’épanouissement de la bourgeoisie arabe (qui a débuté il y a longtemps, bien avant la guerre d’Octobre). “

Le péché originel, c’est cette négation des possibilités de développement que recèle la bourgeoisie arabe, baptisée pour le besoin de la cause (théorique) “petite bourgeoisie”.

“L’adhésion à ce schéma a engendré une sémantique tout à fait caractéristique. Ainsi définissait-on les régimes militaires en Égypte, en Syrie et en Irak comme étant “petits-bourgeois”, pour ne pas reconnaître la nature capitaliste de ces régimes. Alors on parle d’une couche bureaucratique (dont la nature sociologique petite-bourgeoise n’est pas contestée) qui remplit un rôle “bonapartiste”, tenant la balance entre l’impérialisme, les propriétaires terriens et la bourgeoisie compradore, d’un côté, et le mouvement révolutionnaire des ouvriers et paysans sans défense, de l’autre. Cette explication sert à cacher le fossé entre le schéma et le développement historique. De toutes les classes sociales modernes, la petite bourgeoisie se prête le moins aisément à une définition. C’est la classe la plus divisée qui soit et qui, moins que toute autre, peut avancer une alternative qui lui soit propre. L’origine petite-bourgeoise des dirigeants du nationalisme arabe ne saurait cacher la dynamique de l’épanouissement d’une bourgeoisie bureaucratique ou “étatique” désireuse de se libérer du “féodalisme” et des compradores, sans révolution socialiste, et qui est capable d’avancer vers ses buts par la voie lente et non révolutionnaire. “

b) L’ultra-gauchisme, avec sa conception simplifiée des contradictions internationales (capital/travail ; bourgeoisie/prolétariat), néglige les contradictions existant à l’intérieur du système capitaliste et présente les contradictions entre les États-Unis et l’U.R.S.S. comme dues uniquement à une compétition entre les deux super-puissances. Tout, en dehors de cet affrontement entre les socialistes révolutionnaires et les autres, serait un jeu destiné à tromper la classe ouvrière et à la détourner de la lutte révolutionnaire. Il en résulte une analyse erronée de la guerre d’Octobre : “Cette conception, qui considère que la guerre d’Octobre 1973 et tout arrangement qui en résultera ne sont rien d’autre que des manœuvres destinées à “sauver l’ordre social existant”, revient en fait à dire que le renversement de l’ordre social existant était déjà à l’ordre du jour dans le monde arabe, et que sans ces divers arrangements la révolution socialiste aurait déjà éclaté. Mais nous, justement parce que nous sommes des marxistes et non pas des spontanéistes, nous savons que la révolution socialiste n’éclate pas automatiquement, simplement parce que “l’ordre social existant” s’empêtre dans des contradictions et des crises. Pour que les crises politiques et économiques conduisent vers la révolution socialiste, il faut qu’il y ait un mouvement socialiste et une conscience socialiste parmi les masses, ou tout au moins au sein de la classe ouvrière. Sans cela, les crises capitalistes conduisent vers le fascisme et non pas vers le socialisme, vers les guerres et non pas vers les révolutions. ”

c) C’est l’opportunisme dans le domaine national qui revêt probablement le plus d’importance aux yeux des membres de l’Alliance communiste révolutionnaire. La révolution socialiste a, selon eux, été présentée comme “le remède miracle tout-puissant, qui résoudra tous les problèmes nationaux par la “vie en commun” des peuples oppresseurs et opprimés “. Disposant de ce remède miracle, on aurait négligé de mener les luttes concrètes, démocratiques et quotidiennes contre le chauvinisme, qui n’est pas le fait du seul lavage des cerveaux mais est profondément enraciné avec ses bases objectives, même parmi les masses laborieuses. Or, et voici l’essentiel :

“La lutte concrète contre le chauvinisme à l’intérieur de la classe ouvrière israélienne exige qu’on formule les buts politiques “réalistes” (“slogans de transition”) autour desquels on pourra mener une lutte organisée au sein des masses. “ (Souligné par nous, Khamsin.)

Les auteurs rappellent que “la lutte a une dynamique révolutionnaire propre “, et qu’une radicalisation des objectifs et de la lutte pourrait déjà intervenir du fait de la résistance de la bourgeoisie. Sur ce point, on le voit, problématique et argumentation ne sont pas propres à la situation qui règne dans cette partie du Proche-Orient (Palestine-Israël). Ce qui, par contre, est propre à cette région, c’est la nécessité de formuler des “buts politiques réalistes “, car :

“Lutter effectivement contre l’oppression nationale signifie lutter pour la libération nationale. Il est difficile de donner une définition politique à la libération nationale du peuple arabe palestinien sans qu’il y ait oppression nationale du peuple juif israélien, ni acceptation de la réalité de l’État sioniste, spoliateur, oppresseur et expansionniste. Cette difficulté est si grande que nous avons renoncé. Nous nous sommes contentés de décréter que la lutte commune pour la coexistence constitue la solution. Cette position, qui ignore la question nationale, enlève la possibilité de participer pleinement aux luttes effectives qui, même sans être communes, contribuent à battre en brèche l’idéologie nationaliste. Cela était vrai pour les luttes au sein du peuple arabe palestinien et pour celles au sein du peuple juif israélien. “

Et encore, comment le traduire en termes de la réalité israélienne, puisque l’A.C.R. est un mouvement israélien ?

Les conditions de la lutte révolutionnaire en Israël

Lors de sa fondation à la fin de 1970, par une scission à l’intérieur du Matzpen, l’A.C.R. avait donné la définition suivante des conditions de rupture entre les masses laborieuses et l’établissement sioniste :

“La société israélienne, malgré le fait qu’elle soit basée sur l’expropriation et que son économie soit artificielle, est une société de classe, intégrée dans le marché capitaliste mondial, où les masses des travailleurs et paysans sont victimes d’une exploitation économique et sociale, comme dans n’importe quelle société capitaliste. La rupture entre ces couches et l’établissement sioniste pro-impérialiste se fera éventuellement sur la base de cette contradiction sociale. […] La rupture ne pourra s’opérer que si les trois conditions suivantes, étroitement liées, sont réalisées :

a) L’effondrement graduel de la supériorité militaire d’Israël.

b) L’aggravation de la crise économique à l’intérieur.

c) L’émergence d’une alternative internationaliste au sein de la résistance palestinienne et du mouvement révolutionnaire arabe, et la prise de conscience anti-impérialiste au sein de la masse des travailleurs en Israël.” (Extraits de la Plate-Forme politique de l’Alliance communiste Révolutionnaire en trente et un points.)

L’A.C.R. constate que les deux premières conditions, de nature plus objective, sont en train de se réaliser on ne peut plus clairement. Toutefois, “la réduction de l’écart militaire entre Israël et les pays arabes n’implique pas nécessairement que la guerre arabe devienne une guerre populaire et révolutionnaire. Il s’avère que cette réduction peut s’opérer à l’intérieur de la logique d’un développement capitaliste du monde arabe et avec un approvisionnement en armes provenant de l’U.R.S.S. ”

Il y a renforcement militaire arabe et affaiblissement israélien.

“La motivation collective de se mobiliser pour assurer l’existence physique et nationale du “Yishouv” [Nom traditionnel de la colonisation de peuplement juif en Palestine (N.D.T.)] disparaît graduellement, et le sentiment se fait jour que la guerre sert des intérêts politiques et un but territorial bien déterminés (ou alors fait appel de plus en plus à des mobiles obscurantistes religieux ou raciaux). Lors de la guerre d’Octobre, cela était particulièrement évident du fait que la guerre tout entière s’est déroulée sur des territoires arabes (ou d’autres territoires arabes conquis au cours de la guerre de 1967), donc des territoires qu’aucun Israélien ne considère vraiment comme faisant partie de sa patrie.

L’expansionnisme territorial sioniste porte ainsi en son sein, de par sa structure historique, sa propre destruction, non seulement pour des raisons techniques (la longueur des frontières et la dispersion des forces), mais aussi pour des raisons humaines : une armée occupée à conquérir des territoires et à opprimer une autre population ne peut pas préserver le même degré de cohésion interne et de motivation qu’une armée, même raciste, qui défend une implantation “civile”.

Ce processus objectif ne fait que commencer, le régime a encore assez de ressources pour prouver sa force. De toute façon, sans oublier cette grave crise militaire et idéologique, aucun processus objectif ne saurait suffire à lui seul pour détacher le prolétariat israélien du sionisme.

Sans une alternative crédible au sionisme, les masses risquent d’être gagnées par le désespoir et le cynisme. Sous la direction de la bourgeoisie israélienne et avec l’appui de l’impérialisme, elles risquent de se tourner vers le fascisme et vers une guerre sans issue mais sanglante contre les peuples de la région.

La situation économique s’est aggravée sans cesse au cours de ces dernières années ; la crise a pris une. forme aiguë au lendemain de la guerre d’Octobre, suite aux énormes dépenses de guerre, d’une part, et du fait de la dépendance vis-à-vis du marché capitaliste mondial, d’autre part. Celui-ci est en plein chambardement, lié en partie mais non pas exclusivement à la guerre. Il en est de même en Israël où il est vrai que les “dépenses courantes de l’armée”, a fortiori en temps de guerre (quand une partie de l’économie est paralysée) sont particulièrement lourdes ; et où il est également vrai que la dépendance très étroite vis-à-vis du système monétaire international crée des difficultés particulières pour affronter l’inflation qui fait des ravages sur le plan mondial. Mais la faiblesse spécifique et fondamentale de l’économie israélienne réside dans sa nature d’économie globalement subventionnée. Ce sont des forces politiques qui interviennent directement dans la régularisation du marché, où par ailleurs est maintenu un niveau artificiel de consommation, dépassant celui de la production. Cette spécificité de l’économie israélienne était déjà manifeste lors des années 1920, quand, en pleine lutte pour la conquête du “travail juif”, l’organisation sioniste versa des subventions couvrant la différence de salaire entre celui d’un ouvrier juif et celui d’un ouvrier arabe, pour atteindre le double but : de “travail juif et profits normaux pour les employeurs”. (Souligné par nous, Khamsin.)

Jusqu’en 1965, l’économie israélienne obtenait ses subventions principalement de deux sources : l’aide publique nord-américaine et les indemnités versées par l’Allemagne. (Les diverses collectes de fonds juifs n’étaient jamais qu’une force d’appoint, servant en partie à financer les appareils bureaucratiques du mouvement sioniste en Israël.) Quand ces sources se sont raréfiées, l’économie israélienne est entrée dans une grave crise (la récession de 1966) dont elle n’est sortie qu’au moment de la guerre de 1967.

La victoire de juin 1967 a déclenché un vaste courant d’importants investissements étrangers et apporté un enrichissement accéléré des capitalistes locaux, effaçant en partie quelques-uns des traits les plus voyants du parasitisme de l’économie israélienne. Mais cette “normalisation” capitaliste, qui était loin d’être achevée, présuppose la stricte adhésion au principe de la rentabilité de toute l’activité productrice du pays, et par conséquent porte atteinte aux privilèges économiques des travailleurs israéliens et à leur niveau de vie.

La combinaison de tous ces facteurs est à la base de la crise économique actuelle, qui se traduit par un approfondissement du “fossé social”, avec ses répercussions sur le plan de la conscience collective : lutte revendicative permanente, grèves et luttes sociales dans la rue — les manifestations des Panthères noires, etc. La normalisation capitaliste imposée entraîne forcément une polarisation accrue de la société israélienne, portant en elle les germes de la fin de “l’unité nationale” qui fut un phénomène naturel pour une société colonisatrice “égalitaire”. (Souligné par nous, Khamsin.)

La crise économique, en s’approfondissant, donne à la crise idéologique qui a suivi la défaite militaire son caractère de classe, et ouvre un chemin possible au prolétariat israélien, principale victime de la crise, pour s’affirmer face à ses exploiteurs nationaux. La pauvreté crasseuse de larges couches de la société israélienne, la paupérisation continue du prolétariat dénoncent le bluff de l’unité nationale qui ne sert qu’à les étouffer, d’autant plus que la solidarité ne joue guère, même en période de guerre. Mais tant que les masses juives travailleuses et exploitées d’Israël ne voient pas devant elles une alternative à leur actuelle fidélité au régime sioniste, la prise de conscience des réalités ne saurait devenir politique. Tant que l’État d’Israël sioniste, qui les exploite, les appauvrit, met leur vie en danger et réclame toujours plus de victimes, tant que cet Etat sera à leurs yeux la seule alternative à l’extermination, l’expulsion et la répression nationale, les masses juives continueront à mener ses guerres et à bouffer la merde entre les guerres. “

Les conditions subjectives de la rupture

Les conditions subjectives pour la rupture entre le prolétariat israélien et le sionisme sont analysées aux points de vue de la résistance palestinienne, du mouvement révolutionnaire arabe et de la masse des travailleurs en Israël.

La résistance palestinienne repose sur une structure viciée de la société palestinienne.

“Mais pour ce qui est du peuple palestinien qui a été détaché de sa base productrice (la terre) sans pour autant avoir été intégré dans une structure capitaliste, le phénomène dominant n’est pas la “prolétarisation” mais la “lumpenisation”. Cette situation n’encourage pas l’esprit internationaliste, du fait que la tendance historique parmi les Palestiniens pour la “reconnaissance des droits de l’autre peuple” n’est pas le résultat d’un renforcement des forces qui s’appuient sur l’essor de la classe ouvrière, mais est liée à l’impossibilité d’un développement normal et à la nécessité d’arriver à un compromis “réaliste” afin de pouvoir libérer le processus normal. ” (Souligné par nous, Khamsin.)

L’A.C.R. attache une grande importance au développement vicié de la société palestinienne, sans lui donner le moindre sens péjoratif. Une unité nationale s’était constituée chez les Palestiniens avant la guerre de juin 1967, sur la base de la négation des droits politiques du peuple israélien. Ahmed Choukeiry symbolisait cette période, et n’avait-il pas dit à la veille de la guerre de 1967 : “Après la libération, il ne restera plus de population juive ! ” ? Les communistes arabes étaient l’exception, mais trop isolés depuis fort longtemps pour être perçus “par les Juifs d’Eretz Israël comme une alternative qui a ses racines dans le mouvement de libération national palestinien “. Cet isolement dans la société arabe, et en particulier palestinienne, est dû entre autres choses à la position opportuniste de l’U.R.S.S. soutenant le plan de partage de 1947 (donnant 55 % de la superficie à un tiers de la population) et à la ligne stratégique des communistes arabes qui préconisèrent pendant toute une période la lutte interne dans chaque pays, exclusivement. La plate-forme adoptée par El-Fath en janvier 1969 prévoyant la constitution d’un Etat palestinien démocratique et laïque “était un pas énorme sur la voie de l’émergence d’une alternative pour les masses juives d’Israël “. Mais limitée à l’aspect de l’égalité des droits civiques, et niant toujours les droits nationaux du peuple israélien, la plate-forme d’El-Fath, malgré son caractère “démocratique “, “ne pouvait pas attirer les masses juives en Israël, même les plus exploitées et revendicatives “.

“La gauche de la résistance palestinienne (le Front populaire et le Front populaire et démocratique pour la libération de la Palestine) essaya bien avant la guerre de 1973 d’affronter le problème, mettant en avant le slogan d’un Etat socialiste commun, où “le pouvoir, tout le pouvoir, sera entre les mains des conseils ouvriers et paysans”. Mais cette position, comme la nôtre au cours de ces dernières années, indique la solution souhaitée sans expliquer comment on pourrait y arriver. Bien plus, cette prise de position de la gauche palestinienne ne l’a pas empêchée d’entreprendre des actions qui sont en contradiction avec l’affirmation que la lutte n’est pas dirigée contre les masses israéliennes mais contre le régime sioniste (attentats à la bombe dans les marchés et autres lieux publics). Le caractère non sélectif de telles actions sert merveilleusement le lavage de cerveau sioniste. ” (Le document a été rédigé avant l’attentat de Maaloth, qui a été sévèrement condamné par l’A.C.R.) Enfin, les trotskystes (membres ou sympathisants de la IVe Internationale) et néo-anarchistes (Pouvoir des conseils — Groupe arabe), malgré leur position théorique juste sur la question nationale israélienne, se placent volontairement à l’extérieur du mouvement de libération palestinien, refusent même de collaborer entre eux, et ne paraissent jamais en position d’alternative populaire.

C’est dans cette situation bloquée que la guerre d’Octobre a éclaté et a ouvert la perspective d’un retrait israélien des territoires occupés en 1967. Perspective douteuse, peut-être, mais suffisante pour forcer les mouvements palestiniens à choisir entre les trois éventualités : continuation de l’occupation israélienne ; retour du pouvoir jordanien ; montée d’une nouvelle direction en Cisjordanie et à Gaza. Le choix de la direction de l’O.L.P. (ratifié au début de juin 1974, après la rédaction de l’article, par le conseil national palestinien) en faveur d’une “autorité nationale indépendante et combattante du peuple sur toute partie du territoire palestinien qui sera libéré ” comme un pas vers la création de l’État démocratique et laïque sur toute la Palestine, ne constitue pas une alternative claire, puisqu’on ne précise pas de quelle manière sera réalisé l’objectif final.

“Il est vrai pourtant que cette prise de position dégage un terrain — provisoire — où les objectifs tactiques du mouvement palestinien (la création d’un Etat dans les territoires occupés en 1967) ne sont nullement en contradiction avec les droits des Juifs d’Israël. Cette prise de position ouvre la possibilité sinon d’une “lutte commune”, du moins d’une lutte séparée pour des objectifs communs. Le Front démocratique a déjà arrêté une position suffisamment claire, selon laquelle la constitution d’un Etat palestinien à côté de l’Etat d’Israël est considérée comme un pas qui va faciliter la continuation de la lutte pour une Palestine unifiée et démocratique, tout en tentant d’affronter le caractère national (et non pas religieux) de l’établissement juif en Israël et le caractère de classe de la société israélienne. Mais le changement le plus radical et le plus significatif vers “l’émergence d’une alternative internationaliste au sein du mouvement de libération palestinien” s’est produit parmi les Palestiniens des territoires occupés. Le manifeste de la Ligue des ouvriers communistes palestiniens que nous publions dans cette même brochure constitue un tournant historique. En liant le conflit national à la lutte de classes dans le monde arabe, à l’intérieur du peuple palestinien et à l’intérieur de la société israélienne, on se place, au moins du point de vue théorique, sur le terrain de l’alternative internationaliste dans toute sa profondeur.

LA LUTTE POUR LA PRISE DE CONSCIENCE ANTI-IMPERIALISTE AU SEIN DES MASSES TRAVAILLEUSES JUIVES EN ISRAËL est, disions-nous, notre tâche spécifique. Nous devons souligner les développements objectifs, nous devons expliquer avec patience à la classe ouvrière israélienne, tout en participant à ses luttes quotidiennes, que :

a) le sionisme l’amène vers une destruction certaine ;

b) la bourgeoisie israélienne est son véritable ennemi ;

c) il existe dans le camp palestinien une véritable alternative socialiste, une force ouvrière qui tend la main de la solidarité de classe au travailleur juif et lui propose une perspective de lutte commune sur la base de la reconnaissance pleine et entière des droits nationaux des deux peuples “loin du chauvinisme et de la discrimination”, pour le pouvoir prolétarien et l’abattement des barrières nationales”.

Nous devons diffuser les idées de l’internationalisme prolétarien au sein de la classe ouvrière israélienne et présenter concrètement l’opposition entre ses intérêts et ceux de l’impérialisme américain — ennemi de tous les peuples de la région et patron de la bourgeoisie israélienne, son ennemie de classe.

Prise de conscience anti-impérialiste, il faut le dire clairement, signifie dans notre cas une prise de conscience anti-sioniste ; contre le racisme et contre l’expansionnisme. Mais elle est en même temps une prise de conscience anti-capitaliste ; contre l’exploitation de classe et contre la bourgeoisie israélienne. Cette prise de conscience a un fondement supplémentaire dans l’évolution historique de la classe ouvrière israélienne. En effet, celle-ci est essentiellement composée de Juifs qui sont venus ou ont été amenés des pays coloniaux ; or, la “question juive” dans ces pays et à l’époque actuelle, de même que le “problème communautaire” en Israël même, ont leur source dans la nature des relations entre l’impérialisme de l’Occident — et son expression idéologique : le racisme et la doctrine de la suprématie de l’homme blanc — et les peuples de l’Afrique et de l’Asie. “

Stratégie de transition

L’A.C.R. tire comme conclusion de son analyse de la situation objective que les conditions sont mûres pour l’intervention des forces révolutionnaires. “La réalisation des conditions objectives de la lutte ne nous permet plus d’évoquer ces “conditions” comme excuse à notre isolement continu des masses, juives et arabes. ” Le souci d’échapper à la situation d’un groupement marginal est une des constantes du présent document. On dénonce à la fois les tendances guévaristes ou néo-blanquistes et les courants spontanéistes. La nécessité de la “dictature du prolétariat ” est affirmée, mais on ne peut y arriver que par étapes. Et qui dit étape dit “stratégie de transition “, avec ses “slogans de transition ” qu’on peut lancer auprès des masses, qui leur seront compréhensibles, permettant ainsi une mobilisation effective, et alors “le temps arrive où, au cours de la lutte révolutionnaire pour des objectifs concrets, le slogan “tout le pouvoir aux conseils ouvriers” devient un slogan actuel, compris par les masses et donc politiquement juste “. On voit que, tout au moins sur le plan de la terminologie, l’A.C.R. puise dans le trésor des trotskystes et des maoïstes, en alliant la “révolution par étapes ” (terme maoïste) à un “programme de transition ” (terme trotskyste par excellence). Peu importe, la définition de la “stratégie de transition ” est considérée comme la tâche majeure, indispensable pour passer de l’état de groupe marginal à celui d’organisation branchée sur les masses. Disons-le tout de suite, la lutte pour la constitution d’un Etat palestinien, ou plus exactement pour une partition juste de la Palestine, est au centre de la nouvelle “stratégie de transition “. Toute l’analyse qui précède mène vers cette conclusion : la vigueur des bourgeoisies arabes, qui disposent encore du “jeu historique “, renforcée par la puissance des États pétroliers, et qui ne permet pas d’envisager la révolution socialiste à l’échelle du Mashrek comme un but immédiat, le processus de “lumpénisation ” du peuple palestinien qui rend nécessaire sa normalisation, ne serait-ce que par le biais d’un Etat étriqué comme phase intermédiaire ; l’affaiblissement relatif d’Israël, sur le plan militaire, économique et idéologique qui rend possible d'”arracher ” une partition de la Palestine ; enfin, la situation internationale, seraient également favorables à une “solution ” partielle de ce genre.

Le document de la Ligue des ouvriers communistes palestiniens, joint à celui de l’A.C.R., part de la conviction qu’un arrangement politique est effectivement inscrit à 1 ordre du jour : “A notre avis, tous ces facteurs réunis — même au cas d’un échec temporaire de la conférence [de Genève] et même au cas d’une nouvelle guerre limitée entre Arabes et Israéliens — aboutiront à une situation où les hostilités seront closes d’une façon qui permettra une représentation partielle des Palestiniens. ” (Souligné par nous, Khamsin.)

Le but est de savoir avec qui se fera l’arrangement. On considère que les conditions ne sont pas favorables à l’avènement de la révolution socialiste (entre autres choses, en raison de la structure de classes du peuple arabe palestinien dispersé où petite bourgeoisie et lumpenprolétariat prédominent), et, dès lors, “comment transformer ces mauvaises conditions en bonnes conditions ? “. Le facteur positif est la possibilité de percée de l’O.L.P.

“La participation de l’O.L.P. à la conférence de Genève est, à notre avis, dans les circonstances actuelles tout aussi utile que nécessaire pour plusieurs raisons :

1) Les diverses tendances politiques rassemblées au sein de l’O.L.P. comprennent les courants organisés les plus avancés dans les rangs des Palestiniens d’aujourd’hui, et, en dépit de faiblesses et de contradictions, le mouvement est capable de se développer. De surcroît, l’immense majorité du peuple palestinien considère que l’O.L.P. représente effectivement ses intérêts.

2) On doit empêcher le régime jordanien et son appareil répressif de se réinstaller en Cisjordanie, tout comme on doit l’empêcher de conclure une paix séparée avec Israël. “

La situation internationale pousse également dans le sens d’un règlement plus ” juste “.

Plus généralement, trois soucis majeurs animent les auteurs palestiniens du document et leur fait accepter ou souhaiter la partition de la Palestine. Tout d’abord, toute autre solution leur paraît impraticable. A défaut d’une partition, la situation serait bloquée. Accepter aujourd’hui l’Etat palestinien étriqué a une autre signification que dans le cadre du plan Rogers de 1970, en raison d’une modification du rapport des forces au Proche-Orient, intervenue après la guerre d’Octobre. Ensuite, le nouvel Etat permettra un certain rassemblement du peuple palestinien et une certaine normalisation de sa structure sociale. Enfin, les masses arabes et surtout palestiniennes doivent dépasser la phase de lutte nationale ou nationaliste, afin de libérer l’immense potentiel des peuples arabes et pour amorcer la rupture entre les masses israéliennes juives et l’établissement sioniste. La reconnaissance de la ” nation juive israélienne ” revêt déjà de ce point de vue une importance politique capitale.

“L’ “Etat démocratique et laïque” — slogan d’El-Fath — ne se prête pas à une version pratique, car il ne prend pas en ligne de compte l’existence de deux nationalités en Palestine. […] En outre, en l’absence d’une solution socialiste, cela mènerait à la domination du capitalisme israélien sur les marchés arabes locaux.

L’ “Etat populaire et démocratique” (et parfois socialiste), slogans du F.P.L.P. et du F.D.P.L.P. est une juste perspective théorique, mais qui néglige les réalités nationales qui sont le résultat de cinquante ans de conflit entre Arabes et Juifs en Palestine, et apporte de l’eau au moulin de l’idéologie nationaliste juive pour maintenir sa suprématie sur le prolétariat israélien, dans le contexte d’un programme palestinien qui vise à intégrer le peuple israélien-juif dans des structures qui peuvent être démocratiques mais n’en sont pas moins arabes. “

Et plus loin :

“Nous voyons donc que la solution stratégique de la question nationale du conflit israélo-arabe qui serait la plus susceptible de provoquer une explosion de la lutte des classes devrait soulever la question de la partition de la Palestine en deux États, l’un arabe et l’autre juif, où chacune des deux nationalités exercerait une pleine souveraineté territoriale. Cela ne constitue pas, bien entendu, une solution socialiste, et elle est acceptable (du moins théoriquement) et par la bourgeoisie arabe et par la bourgeoisie israélienne, bien que l’on puisse s’attendre à ce qu’elle se heurte à l’opposition de la dernière, tout au moins dans la phase initiale.

Cette proposition de partage de la terre de Palestine en deux États, un quart de siècle après le plan de partage de 1947, présente maintenant les points positifs suivants :

a) Elle permettrait le rassemblement de tous les Palestiniens, y compris ceux de la Galilée et du Triangle et l’exercice de leur droit à l’autodétermination, jetant la base d’une solution radicale de la question nationale en Palestine.

b) Elle coupera pratiquement la route au sionisme dans la poursuite de sa domination idéologique sur la classe ouvrière israélienne-juive et dans ses tentatives pour rationaliser ses actes d’oppression et d’expansion territoriale commis sur le dos du peuple arabe palestinien.

c) Elle laissera la porte ouverte à la lutte sociale pour le socialisme en éliminant les principaux obstacles nationaux, et permettra la rencontre et le combat commun uni, de la manière la plus large qui soit, des organisations des classes ouvrières arabe et juive, loin du chauvinisme, pour des relations sur un pied d’égalité entre les deux peuples, et la lutte commune pour la création d’un pouvoir prolétarien et la destruction de barrières nationales, en coordination avec le mouvement de libération nationale dans le monde arabe.

d) Une telle solution ne présuppose pas la destruction du sionisme au préalable, ni le renversement de la classe dirigeante en Israël — particulièrement en gardant présent à l’esprit le soutien quasi inconditionnel des États-Unis. Mais elle contribuera de façon décisive à affaiblir l’idéologie sioniste, et renforcera les possibilités qu’ont les organisations révolutionnaires israéliennes de combattre les lois racistes, réactionnaires et discriminatoires et leur application à l’intérieur d’Israël (loi du retour, lois d’urgence, etc.), et ouvrira de nouveaux horizons de paix juste et durable pour les masses juives. “

L’autodétermination des deux peuples

A l’insistance de la Ligue des ouvriers communistes palestiniens sur la nécessité pour les Palestiniens de reconnaître les droits nationaux du peuple israélien, les camarades de l’A.C.R. répliquent en faisant valoir la perspective d’une libre intégration dans une union multinationale des peuples de la région.

“Dans le cas spécifique du peuple israélien, la victoire de la révolution socialiste passe par l’effondrement de l’emprise de l’idéologie sioniste sur les masses exploitées juives et par l’acceptation de s’intégrer librement dans une union multinationale des peuples de la région. ” Mais, pour que cela se fasse, il est indispensable que le droit d’autodétermination du peuple israélien soit pleinement reconnu, jusqu’à la séparation. “On peut estimer qu’une reconnaissance sans équivoque des droits nationaux israéliens par les peuples arabes, et leur mouvement révolutionnaire triomphant, qui ne laisse aucun soupçon que la “coexistence” risque d’aboutir à la répression nationale, enlèvera aux masses juives israéliennes toute raison de préférer un petit Etat séparé — un ghetto — à une démocratie multinationale dans une société ouverte avec libre participation à la construction d’un nouvel ordre social, à l’échelle de toute une civilisation au lieu d’une tribu. ”

On peut s’étonner qu’on insiste sur l’autodétermination du peuple israélien, alors que ce n’est pas cela qui est à l’ordre du jour, les Israéliens l’ayant réalisé et concrétisé en érigeant un Etat aux dépens du peuple palestinien. L’A.C.R. s’efforce de répondre d’avance à ce type d’objection en plaçant d’emblée le débat sur le plan politique et non pas moral. Car, si on ne se place pas sur le plan moral, il faut tout d’abord dire qu’une “formulation qui englobe à la fois le droit à l’autodétermination du peuple arabe palestinien et le droit à l’autodétermination du peuple israélien ne signifie pas qu’il y ait une symétrie entre le peuple opprimé et le peuple oppresseur. La reconnaissance du droit des Juifs d’Israël de vivre dans un Etat séparé ne donne pas une légitimation à l’Etat sioniste qui a été construit au détriment des droits nationaux et humains du peuple arabe palestinien. En se référant déjà au plan “moral” il nous faut dire clairement : c’est une concession des Palestiniens face au fait qu’une société nationale israélienne s’est créée sur une partie de leur territoire “. La prise de position politique a un but :

“La reconnaissance du droit des Israéliens à l’autodétermination jusqu’à la séparation est une prise de position politique — et non pas morale — destinée à faciliter la lutte révolutionnaire dans la région, à donner une solution partielle à la question palestinienne et à libérer l’énergie de la classe ouvrière en Israël. “

Il ne faut pas non plus confondre cette concession avec le but final, la révolution socialiste. “Le droit du peuple israélien à l’autodétermination jusqu’à la séparation ne fait pas partie du programme de la révolution socialiste triomphante dans la légion, mais est une concession “petite-bourgeoise” de la part des révolutionnaires dans les conditions qui prévalent dans la région, parce qu’une telle concession rend possible et facilite la lutte commune judéo-arabe pour une démocratie socialiste multi-nationale, c’est-à-dire pour la “coexistence” au lieu de l’apartheid international. ”

De ce point de vue, la situation est identique pour le droit à l’autodétermination des Palestiniens :

“Le droit à l’autodétermination du peuple arabe palestinien, lui aussi, est aujourd’hui à l’ordre du jour en tant qu’expression des conditions existantes dans la région, et nullement comme partie de la plate-forme socialiste triomphante, qui réalisera l’unification de la région et mettra fin à la “balkanisation” actuelle de la nation arabe. “

Parlant ensuite du projet de partition de la Palestine, c’est-à-dire de la création d’un Etat palestinien dans une partie de la Palestine historique, appelé “solution démocratique “, l’A.C.R. insiste, à juste titre, sur les deux aspects qui, du point de vue israélien, sont effectivement d’importance capitale :

“Pour que la partition puisse être valable en tant que solution démocratique, il faut que la partition soit elle-même démocratique :

— la partition doit donner la possibilité d’autodétermination au demi-million d’Arabes palestiniens qui vivent depuis vingt-six ans à l’intérieur de l’État d’Israël, c est-à-dire le droit de se séparer de l’État d’Israël et de rejoindre avec leurs territoires l’État palestinien ;

— la partition ne saurait être un substitut au droit de chaque réfugié de retourner et d’habiter partout dans sa patrie historique en jouissant de l’égalité des droits pleine et entière — ce qui est le fondement de la dé-sionisation totale d’Israël. “

Ces revendications, sur lesquelles les auteurs du document ne se font probablement pas d’illusions, ne sont pas mentionnées en premier lieu pour leur inclusion dans les éventuelles négociations de Genève, mais comme faisant partie de la plate-forme de la lutte démocratique à mener sur le front des droits nationaux du peuple palestinien. Déjà, de ce point de vue, Genève ne pourrait être qu’une étape. Mais c’est une étape à laquelle les organisations palestiniennes doivent participer, aux yeux de l’A.C.R.

“La conférence de Genève, qui doit traduire en accords concrets le changement intervenu dans le rapport des forces, peut être utilisée par le mouvement palestinien et sa gauche, pour s’assurer d’un certain nombre de positions vitales pour la continuation de la lutte : empêcher le retour de la domination jordanienne sur les territoires occupés ; enlever à Israël le prétexte facile pour ajourner l’évacuation des territoires ; créer une base pour le peuple palestinien qui ne sera sous la domination directe d’aucun régime arabe en place. Il faut utiliser la conférence — au lieu de la boycotter — afin de soulever même à cette occasion les revendications démocratiques de base qui se rattachent à un tout stratégique dans la lutte contre le sionisme, et qui sont des conditions nécessaires pour que la paix règne dans la région :

— le droit de retour des réfugiés ;

– une partition démocratique de la Palestine conforme au principe du droit à l’autodétermination ;

– l’abolition des lois d’oppression et de discrimination nationale.

Ces revendications ne constituent pas — nous l’avons dit — la base de la solution socialiste, mais le fondement d’un programme minimum anti-chauvin pour les révolutionnaires des deux peuples, et en même temps elles préparent le terrain pour la poursuite de la lutte (puisqu’on peut estimer que de Genève ne sortira rien d’autre qu’un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza, et même peut-être moins que cela). Tout dépend de la lutte à mener sur les divers fronts, et en premier lieu dans les territoires occupés, sans négliger le front intérieur israélien, les camps palestiniens en Jordanie et au Liban, le monde arabe et même Genève. “

2. “Pax Americana”

(Prises de position de la section israélienne de la IVe Internationale (trotskyste).)

On trouve à l’autre bout, en position diamétralement opposée, l’analyse stratégique de ceux qui considèrent que tout arrangement possible à l’heure actuelle ne peut être qu’un arrangement impérialiste (U.S.) — une pax americana — et est donc à rejeter catégoriquement comme une trahison de la cause palestinienne et de la révolution arabe en général. Cette position est associée dans le monde arabe avec le “front du refus “, composé notamment par le F.P.L.P. (Front populaire pour la libération de la Palestine), le F.P.L.P.-commandement général et les régimes arabes “durs ” — Irak, Libye. En Israël, les partisans les plus ardents de la ligne du refus, parmi les mouvements de l’extrême-gauche anti-sioniste, sont les trotskystes de la IVe Internationale. Le rapprochement est fortuit ; du côté arabe il y a certainement un élément de nationalisme qui pousse vers le refus, alors que celui des trotskystes israéliens (et arabes) prend sa source dans une position internationaliste (interprétée correctement ou non, c’est une autre affaire), ou, plus exactement, suit une ligne stratégique régionale et même mondiale (de nouveau : juste ou erronée).

On ne peut comprendre la prise de position de la IVe Internationale sur les questions actuelles — arrangement politique, lutte pour la création d’un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza — sans avoir bien saisi sa thèse générale sur la stratégie révolutionnaire au Proche-Orient. Car thèse générale il y a, et continuité dans la pensée aussi.

“La révolution dans l’Est arabe [Mashrek] ne peut pas être une révolution “démocratique”, nationale ou bourgeoise, mais seulement socialiste prolétarienne “, lisons-nous dans un document de la IVe Internationale (Thèses on the Révolution in the Arab East, septembre 1972. Ce document est signé par A. Said, pseudonyme du camarade Jabra Nicola, mort en décembre 1974. Nous tenons ici à rendre nommage au militant dévoué que fut Jabra Nicola). La thèse générale est dirigée contre toute illusion qu’un véritable développement puisse être l’œuvre des régimes “progressistes ” ou des bourgeoisies nationales. Sans la conquête du pouvoir par les classes laborieuses et l’instauration des mesures socialistes, “ni les tâches nationales démocratiques ni l’industrialisation rapide ne pourraient être assurées “. Si les régimes “progressistes bonapartistes ” ont échoué (allusion au nassérisme et au Ba’as), des changements socio-économiques réels ont quand même eu lieu qui, sans pour autant pouvoir répondre aux besoins des masses, “ont largement renforcé les forces révolutionnaires en puissance (accroissement du nombre et du poids du prolétariat) “.

L’échec est le plus évident — on serait tenté de dire qu’il est considéré comme total — dans la lutte anti-impérialiste. “Ainsi, la lutte contre l’impérialisme — inséparable de toutes les autres luttes démocratiques — ne peut être menée que comme une lutte contre toutes les classes dominantes et contre tous les régimes existants dans la région. Ces classes sont les partenaires subalternes de l’impérialisme. ” On voit tout de suite la différence de fond avec le texte précédent (de l’Alliance communiste révolutionnaire-Maavak) où on peut lire : “Il s’est avéré que la bourgeoisie arabe est une réalité vivante “.

Cette incapacité fondamentale — selon la thèse trotskystes — des classes dominantes de mener à bien les tâches traditionnelles d’une bourgeoisie nationale aurait sa racine dans toute l’histoire arabe : “1) Aucune bourgeoisie nationale ayant une assise urbaine n’a pu prendre naissance dans la société arabe pré-impérialiste ; 2) intégration complète des classes traditionnelles au pouvoir à l’intérieur du système capitaliste mondial à l’époque de l’impérialisme ; 3) incapacité de la petite bourgeoisie, qui, par le contrôle de l’appareil d’État, a voulu s’ériger en bourgeoisie nationale, à se libérer de la puissance écrasante de 1 impérialisme, et en même temps exercer un contrôle ferme sur la mobilisation des masses contre l’impérialisme. ” Nous sommes en pleine révolution permanente, puisque seul le prolétariat en alliance avec la paysannerie pauvre peut mener à bien et immédiatement les tâches démocratiques et nationales. Aucun “jeu historique ” ne reste à la ou aux bourgeoisies nationales.

Notre propos ici n’est pas de procéder à une analyse historique approfondie (il serait souhaitable que la revue puisse le faire à l’avenir). Il est important de souligner que la ligne stratégique trotskyste a une cohérence interne ; c’est une autre question de savoir dans quelle mesure l’analyse historique a été cousue pour s’accorder avec la théorie ou l’idéologie trotskyste, ou inversement et c’est encore une autre question de savoir dans quelle mesure cet échafaudage idéologique les rend capables de saisir la réalité ou au contraire les aveugle face aux changements qui se produisent dans le Mashrek. Nous y reviendrons.

Ajoutons que les analyses marxistes divergent sur ce point d’histoire : pourquoi le capitalisme ne s’est-il pas développé dans les pays arabes au cours des siècles passés ? Ahmad El Kodsy (« Nationalism and   Class Struggle in the Arab World », Monthly Review, juillet-août 1970) se situe presque à l’opposé de la position d’A. Said. Parlant de l’évolution historique du monde arabe, et mettant à part l’Egypte, A. El Kodsy écrit : “Mais l’essentiel n’est pas ici la campagne. C’est la ville. […] Des villes qui furent parmi les plus populeuses de l’Antiquité, du Moyen Age et des temps modernes jusqu’au capitalisme, beaucoup plus importantes que celles de l’Occident : Alep, Damas, Bagdad, Basra, Antioche, etc. Aux grandes époques elles regroupaient la majorité de la population de la région. […] Des villes marchandes, comme celles d’Italie qui leur faisaient écho en Occident au Moyen Age, ou comme celles de la Hanse. L’accumulation de la richesse ayant dans ces villes traduit le brillant de la civilisation. Mais cette accumulation n’a pas débouché sur le capitalisme, précisément parce que les campagnes — isolées — n’étaient pas “féodales” et que de ce fait les processus de prolétarisation, essentiels à la naissance du capitalisme, ne pouvaient se faire. ”

Question et réponse sont renvoyées à la campagne : pourquoi n’y a-t-il pas eu un véritable féodalisme arabe ? Maxime Rodinson (Islam et Capitalisme, Editions du Seuil, Paris, 1966) écarte tout d’abord, et avec vigueur, l’islam comme facteur antonyme au développement capitaliste. Il ne semble pas penser qu’il existe une cause unique pour expliquer le déclin de la bourgeoisie commerciale arabe après le XIe siècle, et mentionne plusieurs facteurs qui, parmi d’autres, seraient responsables de la stagnation si évidente au XIXe siècle, quand la pénétration occidentale était devenue le fait politico-économique dominant : densité de population, tradition d’État fort, haute rentabilité d’investissements fonciers, vagues d’invasion d’Asie centrale. Selon M. Rodinson, la question gagnerait à être inversée pour la poser sur le mode positif : pourquoi l’Europe a-t-elle eu un développement capitaliste ? On sait aussi que certains historiens soviétiques prétendent (V. B. Lutsky, par exemple) que les États féodaux de l’Est (?) portaient en leur sein le capitalisme, mais c’est l’intervention occidentale qui l’aurait empêché ou retardé dans son développement… Fermons ici la parenthèse historique ; la question est largement débattue, et probablement insuffisamment étudiée.

Ce sont les conséquences de cette structure de base qui nous intéressent ici. La plus importante : “La révolution permanente dans l’Est arabe ne peut atteindre la victoire que si elle a pour base toute la région [le Mashrek…]. Cette unité stratégique de la révolution correspond à sa tâche nationale générale : l’unification nationale arabe. Mais la lutte pour la réalisation des tâches nationales, y compris celle pour l’unification nationale arabe, ne peut pas être menée sous la bannière du nationalisme. Le nationalisme est aujourd’hui l’idéologie des classes arabes au pouvoir. […] Toutes les tâches nationales arabes exigent pour leur réalisation une lutte des classes consciente. […] Cela exige la création d’un parti révolutionnaire. […] Étant donné que le Mashrek est une unité et que sa dynamique révolutionnaire est indivisible, il nous faut un parti révolutionnaire unique pour la région, ayant une seule et même stratégie révolutionnaire. ” En bref, dépassement du rôle de la bourgeoisie nationale, de la petite bourgeoisie érigée en bureaucratie d’État et, certainement, de la classe semi-féodale ; lutte révolutionnaire uniquement à l’échelle de la région (le Mashrek), les luttes partielles seront appréciées en fonction du but stratégique global.

La Palestine est une de ces luttes partielles. “Le développement inégal dans la région a pour conséquence que des situations révolutionnaires ou pré-révolutionnaires peuvent surgir à différents moments dans différents endroits ; mais n’importe où et n’importe quand, la lutte dans cet endroit déterminé doit être partie intégrante de la révolution arabe dans sa totalité […] dirigée de manière à pouvoir se combiner avec la lutte unifiée pour les besoins des masses de toute la région. ” La lutte palestinienne s’est développée et se développe toujours sur une base idéologique très différente de celle préconisée par les trotskystes de la IVe Internationale. Il y a concentration sur le but, même immédiat, de la création d’un État palestinien, grand ou petit. Or, l’idée même d’une entité nationale exclusivement palestinienne est prise en horreur par ce courant trotskyste : “Un État-nation palestinien séparé et indépendant n’a jamais existé dans le monde arabe, même pas en tant qu’unité administrative à l’intérieur de l’Empire ottoman. La Palestine dans ses frontières connues comme unité séparée est une création de l’impérialisme britannique et français après la Première Guerre mondiale. La lutte des Palestiniens contre le sionisme et l’impérialisme pendant le mandat fut partie intégrante de la lutte de tout le Mashrek pour l’indépendance et l’unité nationale. // n’y a jamais eu une identité nationale palestinienne. ” (Souligné par nous.) Donc, même avant que le projet de création d’un État palestinien dans les territoires occupés dont Israël serait éventuellement forcé de se retirer ne fût à l’ordre du jour, les trotskystes de la IVe Internationale se méfiaient déjà de toute idée de création d’un État palestinien. Logiquement, ils craignaient un relâchement de la lutte palestinienne, ferment et avant-garde de la lutte nationale, révolutionnaire et anti-impérialiste du Mashrek, que ce soit à travers la création d’un mini-État palestinien ou de celui englobant la Palestine tout entière. Mais, connaissant quand même la réalité et la force de l’establishment sioniste, la grande Palestine démocratique et laïque ne leur paraissait pas constituer un danger, parce que irréaliste et inimaginable, ou, plus exactement, réalisable seulement dans une perspective socialiste, qui, elle, n’est concevable qu’à l’échelle du Mashrek, ce qui rend d’ailleurs superflue la constitution d’un État palestinien séparé (les subdivisions dans le Mashrek se feront selon des réalités socio-économiques et aussi ethniques, la Palestine n’en est pas une). Mais la constitution d’une entité nationale palestinienne en Cisjordanie et à Gaza leur apparaît comme une possibilité réelle, et est donc combattue avec férocité (“l’objectif final de cette initiative de la part des États arabes comme de certaines parties du camp impérialiste occidental est la disparition du mouvement palestinien comme catalyseur de la mobilisation des masses arabes dans la région.” (G. Vergeat, Rouge, 25 octobre 1974).

Avant de passer à l’actualité brûlante — pour ou contre l’État palestinien en Cisjordanie et à Gaza —, mentionnons que, tout à fait logiquement, bien qu’à première vue cela apparaisse comme un paradoxe, la négation d’une identité nationale palestinienne allait de pair avec une vigoureuse défense du droit à l’autodétermination des minorités nationales vivant dans le Mashrek. Ce qui est compréhensible, car, si pour les Palestiniens il faut souligner l’identité du destin avec l’ensemble du Mashrek, les minorités nationales (Kurdes, Israéliens, Sud-Soudanais) doivent pouvoir vivre au Mashrek et participer à la lutte révolutionnaire, tout en étant assurées que leur spécificité nationale sera entièrement respectée, puisque celle-ci est réelle et peut être exploitée par les classes réactionnaires à l’intérieur de ces minorités pour combattre la révolution arabe, en s’appuyant sur l’impérialisme (les exemples ne manquent pas). Le droit à l’autodétermination ne signifie rien d’autre dans la terminologie léniniste — et les trotskystes l’utilisent, tout au moins dans ce domaine — que le droit à la sécession, à la création d’un État séparé. Mais, écrit A. Said, en prenant l’exemple israélien : “Les Juifs israéliens ne peuvent pas constituer un véritable État indépendant et neutre, ni du point de vue économique ni du point de vue politique. Ils seront, économiquement et politiquement, en relations étroites soit avec l’État socialiste arabe, soit avec l’impérialisme contre cet État. Donc, alors que la révolution arabe doit accorder aux Juifs israéliens le droit de se séparer, le révolutionnaire israélien juif doit lutter pour l’intégration dans l’État socialiste arabe.”

L’idée même d’une entité nationale palestinienne dans les territoires qu’Israël serait éventuellement forcé d’évacuer, si et quand ils le seront, est combattue avec une violence inouïe par la IVe Internationale, nous l’avons dit. La direction de l’O.L.P. et aussi tous ceux, dans les pays arabes, en Israël et dans le monde, qui soutiennent le droit des Palestiniens à s’autodéterminer où qu’ils sont, y compris ceux qui vivent actuellement sous l’occupation en Cisjordanie et à Gaza, sont qualifiés de traîtres à la cause palestinienne et arabe, de valets objectifs de l’impérialisme américain. Voici un exemple d’attaque contre les camarades de Matzpen (nous verrons plus loin leur position) et de Maavak : “Quel culot que le vôtre, c’est le culot du colonisateur et du conquérant ! En quoi êtes vous différents des racistes de l’Afrique du Sud qui, faible majorité eux aussi, se sont emparés de la majorité des territoires, tandis que pour la majorité de la population, les autochtones noirs, ils ont érigés des “Bantustans”, qui ne sont rien d’autre que de vastes camps ? ” (Y. YARIV, « La Gauche, l’Occupation et l’Arrangement », Matzpen marxiste, juin 1974. Notons qu’il y a une confusion sur le nom Matzpen : Matzpen marxiste était le journal de la tendance trotskyste, tandis que celui de l’autre tendance s’appelle Matzpen tout court. Mais depuis le dernier numéro de décembre 1974, le Matzpen marxiste a changé son nom en Kol Hamaamad — La Voix de la classe ouvrière, mensuel des travailleurs. Organisation socialiste israélienne, section de la IV’ Internationale).

Il est regrettable qu’on puisse se permettre de tels écarts de langage, mais c’est un phénomène courant dans les organisations où prédomine l’élément idéologique, ou plutôt où la ligne stratégique globale commande d’écarter tout ce qui la gêne, et l’État palestinien — petit ou grand — gêne effectivement. Il est particulièrement pénible de voir que pour ce faire on se pose en super-patriote palestinien — ce qui produit des accointances nuisibles, même si celles-ci sont rejetées, et elles le sont — alors que, nous l’avons vu, ce n’est pas la question palestinienne en soi qui les intéresse. En tout cas, chez les deux autres interlocuteurs israéliens (Maavak et Matzpen), il n’y a ni insultes ni prétentions de super-patriotisme palestinien.

Pour l’analyse des événements actuels, les camarades trotskystes de la IVe Internationale mettent tout sur le dos de l’impérialisme américain. L’arrangement dont on parle actuellement serait une invention purement américaine, et même la guerre d’Octobre 1973 le serait. Le maître mot est pax americana, qui est d’ailleurs le titre de l’article de fond consacré à la question, paru dans le Kol Hamaamad d’octobre 1974, et dont nous tirons l’analyse qui suit.

“Le Mashrek a parcouru un long chemin depuis que Nasser a nationalisé le canal de Suez ou depuis que la foule en Irak a chassé le régime pourri de Nouri Saïd. C’est le chemin qui sépare la vague anti-impérialiste qui montait dans cette région arabe, accélérée par la guerre de 1948 et le retour en force de l’impérialisme américain, rendu possible par la guerre de juin 1967, et qui s’est terminée “en beauté” par la guerre d’Octobre 1973. ” Si la guerre de 1967 a facilité le virage à droite des régimes arabes, elle a aussi déclenché un processus contraire au niveau des masses, notamment celles de Palestine. “[…] la faillite des régimes bonapartistes et la continuation de l’occupation de territoires arabes ont servi comme catalyseur de la lutte populaire, et surtout de la résistance palestinienne, dont l’apparition comme facteur autonome a remis sur le tapis le problème du peuple palestinien “. La guerre de 1967 n’a été donc qu’une victoire partielle, “complétée par Octobre 1973 et l’arrangement impérialiste qui l’a suivi “.

La guerre de 1967 a en même temps levé l’hypothèque bonapartiste ; la défaite a discrédité les régimes petit-bourgeois et a permis un retour en force des bourgeoisies locales. Avec l’aide de Fayçal, le Saoudien, un rapprochement s’était opéré avec les États-Unis, mais pour le consolider il fallait une modification de la politique américaine envers Israël. Ce fut fait avec la guerre de 1973 et les arrangements diplomatiques à l’ordre du jour après celle-ci. “Il serait toutefois erroné de penser que la montée de l’Arabie Saoudite et de l’Egypte dans le dispositif impérialiste ait fait perdre à Israël son rôle de gendarme principal de l’impérialisme dans le Mashrek. […] Les dirigeants U.S. savent fort bien que la bourgeoisie égyptienne ne pourrait pas, en dépit de ses derniers succès, résoudre les graves problèmes sociaux (question agraire, continuation de l’industrialisation, développement du pays), et arrêter pour longtemps la tension sociale. La révolution est actuellement en déclin en Égypte, mais le processus révolutionnaire se dégagera à coup sûr, et plus vite que ne le pensent Kissinger et Cie. C’est ici qu’intervient Israël. ”

Les pays producteurs de pétrole, s’ils se sont renforcés, n’ont pas fait un pas vers une plus grande indépendance, bien au contraire : “Le renforcement des pays pétroliers arabes ne signifie pas, contrairement à ce qu’on a tendance à croire même dans la gauche, que la nature des relations entre ces pays et l’impérialisme ait changé. Ces relations restent et resteront — tant que le capitalisme n’est pas aboli dans ces pays — des relations de dépendance, puisque les pays pétroliers ne sont pas capables d’investir les capitaux accumulés. […] Aussi peut-on dire que la dépendance de ces pays arabes envers l’impérialisme non seulement n’a pas diminué, mais ne fait que croître. ”

Deux peuples ont pu échapper à l’emprise américaine, et encore “l’Irak et la Palestine, après que la Libye et la Syrie eurent amorcé leur rapprochement avec les États-Unis (voir le prêt américain à la Syrie lors du voyage de Nixon). L’Irak reste le seul pays où l’influence américaine n’a pas pu pénétrer, étant déjà lié au capital français ; c’est cela, et non pas un quelconque élément progressiste, qui explique la position de l’Irak contre l’arrangement prôné par Nixon-Kissinger. ”

Il y a quand même l’U.R.S.S., mais son seul allié reste le peuple palestinien. L’U.R.S.S. est considérée comme ayant subi un échec fracassant sur toute la ligne au Proche-Orient. “La seule carte qui reste encore entre les mains de la bureaucratie soviétique est l’affaire palestinienne. Les Soviétiques sont actuellement les seuls qui soutiennent sans réserve l’O.L.P. et l’idée de la création d’un État palestinien. Mais, ici aussi, il est clair qu’une fois la question palestinienne devenue actuelle, ce sont les États-Unis qui décideront. Et si cet État palestinien doit voir le jour, il dépendra de l’Arabie Saoudite — c’est-à-dire des États-Unis — bien plus que de l’U.R.S.S. ”

En résumé (on a mentionné dans la présentation l’incroyable aveuglement de ces camarades de saisir la réalité) : le mouvement anti-impérialiste et révolutionnaire est dans une phase de fort déclin (c’est une constance dans l’analyse de la IVe Internationale que de se référer aux vagues montantes et descendantes de la révolution). Les bourgeoisies nationales, et même les puissances pétrolières, bien qu’elles se soient renforcées à l’intérieur n’ont pas acquis la moindre parcelle supplémentaire d’indépendance, au contraire — elles sont encore plus dépendantes de l’impérialisme U.S. ; il n’y a aucune contradiction entre elles et l’impérialisme, et on ne mentionne même pas la possibilité d’une guerre, puisque les États-Unis tiennent tout en main, et de main de maître. Les régimes “progressistes ” anciens et présents doivent être tout particulièrement dénoncés (“approfondissement et renforcement de l’emprise américaine sur le monde arabe dans sa totalité, autour de l’axe Arabie Saoudite-Egypte-Algérie, et effondrement du dispositif stratégique soviétique dans la région “). Rappelons-nous : il a été postulé dès le début qu’aucun développement réel n’est possible, et surtout que l’emprise de l’impérialisme ne pourrait pas se relâcher (donc pas de contradictions réelles avec celui-ci) en dehors de la lutté menée par le prolétariat et ses alliés, et dans le cadre du Mashrek socialiste unifié.

Les Palestiniens sont les principales victimes de “la baisse sans précédent de la lutte populaire au Mashrek “. Dans une situation de défaite, il est interdit d’envisager un accord quelconque ; “[…] si le rapport global des forces s’était modifié en faveur des masses et de leurs intérêts, 1′ “accord” aurait été une confirmation des succès significatifs remportés par les masses […], et, si tel était vraiment le cas, l’accord aurait été différent “. La lutte palestinienne sombre dans la débâcle, et tirer un avantage quelconque d’une situation momentanée, ou même essayer de le faire — ne serait-ce que comme mouvement tactique—, c’est une trahison : “[…] le droit plein et entier du peuple palestinien arabe de retourner sur la terre de Palestine [•-.] exige la continuation de la lutte armée contre l’appareil sioniste, et ce n’est pas seulement un droit mais aussi un devoir des révolutionnaires palestiniens ; l’abandonner serait trahir la cause nationale” (« Les Tâches révolutionnaires et l’ “accord de paix’ », Résolutions du Premier Congrès du Groupe communiste révolutionnaire ; ce dernier est une organisation libanaise liée à la IVe Internationale, dont les résolutions sont publiées dans la presse de celle-ci).

3. Aujourd’hui, à l’heure de la question palestinienne

(Prises de position de l’Organisation socialiste israélienne Matzpen)

La position de Matzpen, la dernière en date (si les guerres israélo-arabes se rapprochent dans le temps, Matzpen risque d’être littéralement en retard d’une guerre), fut publiée dans un document officiel intitulé : ” Aujourd’hui, à l’heure de la question palestinienne ” (Matzpen, décembre 1974). Une longue discussion de fond dans les rangs de l’organisation a précédé la publication du document (ce qui explique le retard), qui se présente modestement comme un document de conjoncture : ” Le présent document est un guide pour notre action pour cette période déterminée ; il ne renferme pas de principes de base et ne saurait être considéré comme le “dernier mot” sur la question débattue. ” L’attitude est caractéristique de Matzpen qui a toujours affiché une sainte horreur du dogmatisme, qui avance ses positions avec prudence, voire hésitation, et est souvent accusé d’entretenir la confusion. Le document ne contient aucune polémique avec les autres organisations d’extrême gauche anti-sioniste, bien qu’il soit le dernier en date, et surtout pas les insultes grossières des trotskystes.

A première vue, la position de Matzpen paraît être à mi-chemin entre les deux thèses analysées précédemment, et en privé les camarades la présentent parfois ainsi. Mais en réalité sa position est beaucoup plus proche de celle de Maavak. Les deux organisations sont d’accord sur le nouveau rôle imparti aux bourgeoisies arabes, et Matzpen soutient également la création d’un État palestinien dans les territoires qu’Israël sera forcé d’évacuer, même si le soutien est davantage sur le mode négatif (personne n’a le droit de dicter aux Palestiniens comment ils doivent déterminer leur futur, et surtout pas Israël…). Enfin, Matzpen affiche un assez solide optimisme sur la radicalisation de la lutte des classes.

La première partie analyse la situation dans le Mashrek, en relation avec la crise mondiale. C’est ici qu’une discussion théorique de fond a eu lieu, qui ne se reflète que partiellement dans le document. ” Après la répression du mouvement palestinien [septembre 1970 en Jordanie], on pouvait penser que la région se stabiliserait à cause du désarroi. Mais des courants souterrains minaient la “stabilité”. Les régimes arabes nationalistes perdirent leur base populaire, cependant que dans le monde impérialiste on commença à se poser des questions sur l’opportunité ou la possibilité d’utiliser le fouet israélien comme unique moyen pour tenir le monde arabe. Rappelons-nous la crise dans es relations entre les États-Unis, l’Europe et le Japon [avant octobre 1973 et la guerre] sur un fond de crise économique mondiale. La dynamique de cette évolution a reposé la question de l’exploitation de la région par l’impérialisme, mais sous une autre forme. Nous devons réexaminer les contradictions entre l’impérialisme et les bourgeoisies nationales, devenues plus dynamiques, et en même temps souligner l’importance que prendra la lutte des classes. Ces questions sont au centre d’un débat théorique dans notre organisation. ” Le débat était le suivant : peut-on s’attendre à un ” arrangement ” entre l’impérialisme et les bourgeoisies nationales arabes, qui se sont renforcées ? Dans une telle éventualité, y aura-t-il radicalisation de la lutte des classes dans le Mashrek ? Le débat n’est pas vraiment tranché (sauf pour dire que les bourgeoisies nationales se sont renforcées, et même dès avant la guerre de 1973), mais on aura tendance à répondre par l’affirmative.

Beaucoup de choses découlent de cette affirmation, même si elle est énoncée avec nombre de réserves. La plus importante est l’hypothèse que les États-Unis exercent une pression réelle sur Israël pour une retraite des territoires occupés en 1967, ” estimant qu’en répondant ainsi à la demande [des pays arabes] l’impérialisme pourra assurer pendant une période prolongée son emprise sur la région, et peut-être la renforcer. C’est aussi à l’intérieur de ce cadre politique que les autorités américaines essaient d’affronter le problème palestinien “.

On passe alors à l’examen des répercussions d’un retrait forcé sur les deux camps en présence dans la région. ” Le fait est que, pour les États-Unis, forcer Israël à un retrait n’est rien d’autre qu’un petit changement de cap, alors que pour le sionisme il s’agirait d’une défaite historique. […] Jusqu’ici le sionisme jouissait d’un soutien presque total de la part des masses juives en Israël, et cela sur la base objective que le sionisme n’était pas l’objet d’une exploitation quelconque par l’impérialisme, le contraire même : le pays tout entier est subventionné par l’impérialisme en échange de son rôle de gardien des intérêts impérialistes dans la région. Mais les masses soutenaient le sionisme essentiellement parce qu’elles croyaient profondément que la politique sioniste est à même de leur assurer l’existence et la paix. […] Il n’y a pas de doute que la guerre d’Octobre 1973 a profondément changé la situation. Le sionisme ne paraît plus tout-puissant, surtout si Israël était obligé de céder et d’accepter l’arrangement imposé par les États-Unis, car il deviendrait alors évident combien est dangereux le rôle que le sionisme attribue aux masses, et combien leur destin est lié — question de vie ou de mort — aux intérêts impérialistes. Une radicalisation à l’intérieur de la société israélienne est dorénavant possible. ” (Souligné par nous.)

La situation est fondamentalement différente dans les pays arabes, mais la conclusion à en tirer ne l’est pas. Le retrait forcé d’Israël augmentera le prestige des régimes arabes — surtout de la Syrie et de l’Égypte — et renforcera aussi la position de l’impérialisme américain dans la région, considéré comme le principal artisan de la manœuvre. Mais, contrairement à la situation des masses israéliennes, ” les masses arabes resteront exploitées par l’impérialisme et les classes au pouvoir dans le monde arabe — comme partout dans le Tiers monde —, continueront à être les partenaires de l’impérialisme. Ces classes au pouvoir ne peuvent pas résoudre les problèmes de base des masses arabes. Ainsi, la lutte des classes dans le monde arabe ne pourra que prendre un nouveau départ ” (Souligné par nous.)

Il est vrai, estiment les camarades de Matzpen, que l’ensemble du monde arabe a singulièrement renforcé ses positions, mais on insiste et on le répète : les régimes en place ne peuvent pas résoudre les problèmes fondamentaux, ” c’est pourquoi on peut s’attendre que le regain de force et de prestige acquis par les régimes arabes et par l’impérialisme américain restera un phénomène passager “. Cet optimisme sur l’évolution à terme est renforcé par le fait que ” le mythe de l’invincibilité de la force sioniste a été secoué sérieusement. Un obstacle majeur obstruant la voie de la lutte populaire dans les pays arabes a été ainsi enlevé “. Mais les obstacles persistent. Le principal viendrait plutôt du côté israélien que de l’impérialisme U.S., et TU.R.S.S. ne s’y opposerait guère. (” L’impérialisme n’est pas le seul facteur dont les intérêts comptent dans la région : de nos jours il trouve en U.R.S.S. un allié commode pour des arrangements diplomatiques, qui font partie d’un ensemble visant à la “détente” mondiale. “) A court terme, de nouveaux dangers se feront jour, y compris la tentation pour Israël d’effacer le passé récent […] avec l’espoir qu’Israël aura sa chance de mener une “guerre de revanche” dans le cadre d’une attaque impérialiste sur les sources du pétrole. Toutefois, de nouvelles possibilités sont ouvertes pour la lutte révolutionnaire, en Israël comme dans les autres pays de la région. La concrétisation de ces possibilités dépendra, à coup sûr, de l’action commune des révolutionnaires de la région, arabes et juifs. ”

Il est bon de le souligner ici, en résumant la partie mashrékienne, c’est une constante dans l’analyse de Matzpen que d’insister sur le subventionnement de l’establishment sioniste et d’Israël tout entier, dont bénéficie à des degrés divers toute la population, contrastant avec l’exploitation du monde arabe par l’impérialisme, par l’intermédiaire des classes dirigeantes locales. Les points de rupture pour la lutte populaire se situent à des niveaux différents : extérieur pour les masses israéliennes, intérieur pour les masses des pays arabes. Les premières ne peuvent se dégager qu’en saisissant le rôle que leur fait jouer l’impérialisme ; les dernières en prenant conscience du rôle que jouent leurs propres classes dominantes, alliées de l’impérialisme. Déjà de ce point de vue, Matzpen est enclin à appeler de ses vœux un dépassement de l’état de conflit ouvert, à condition que le régime sioniste ait subi une défaite majeure, condition de rupture pour les masses juives d’Israël (qui est aussi une donnée de base dans le raisonnement de Maavak), et qui lèverait l’un des obstacles qu’affrontaient les masses arabes en lutte. Peu importe si l'” arrangement ” est favorisé par l’impérialisme (accord sur ce point avec les camarades trotskystes) et si les bourgeoisies nationales se renforcent dans la région. La défaite d’Octobre 1973 — sans être à proprement parler une défaite militaire, la dernière guerre est ressentie à juste titre comme en étant une — pourrait constituer ce point de rupture, si l’impérialisme nord-américain, dans la défense de ses propres intérêts, est amené à forcer Israël à se retirer des territoires occupés. Effectivement, un grand ” si “, colossal même.

Il y a aussi une autre différence de fond avec l’approche des camarades trotskystes de la IVe Internationale. L’analyse de Matzpen est froide, elle se veut scientifique. Elle peut se tromper, bien sûr, mais nulle part on n’y trouve les expressions de ” traîtres ” ou ” racistes ” à l’égard des autres composantes de l’extrême-gauche anti-sioniste. On ne tombe pas dans le ridicule des prises de position tranchantes, avec excommunications et tutti quanti, sur le plan inter-régional où le poids des organisations anti-sionistes israéliennes est tout à fait minime. On voit plutôt procéder à une analyse pour servir de guide à l’action, là où on peut agir. D’ailleurs, le document commence par cette constatation : ” Notre organisation est petite et son influence est faible, mais elle constitue, avec les autres organisations socialistes révolutionnaires, le seul contre-pôle à l’ensemble du camp sioniste ; un pôle qui essaie de mener son action en développant la critique socialiste sur la situation dans le Proche-Orient en général, et sur le sionisme en particulier. ” (Souligné par nous.) Il en va autrement quand on aborde les axes de lutte sur la question palestinienne et à l’intérieur de l'” establishment ” sioniste. Ici des prises de position nettes et des slogans clairs s’imposent.

La position sur la Palestine s’exprime dans les trois slogans mis en exergue:

” Nous appuyons la lutte du peuple arabe palestinien pour sa libération — y compris sa lutte pour une évacuation totale par Israël des territoires occupés en 1967 et la constitution d’une entité politique indépendante dans ces territoires — et nous luttons :

— pour un retrait complet, immédiat et sans conditions par Israël de tous les territoires occupés !

— contre toute tentative israélienne de dicter aux masses palestiniennes qui doit les représenter !

— contre toute tentative israélienne de décider quel sera l’avenir des territoires d’où Israël se retirera ! “

Le soutien est sur le mode négatif, mais ferme sur ce plan, parce que cela touche la scène politique israélienne : ” Nous pensons que la lutte autour de ces revendications est le devoir de toutes les forces révolutionnaires et progressistes israéliennes, ainsi que celles qui n’approuvent pas la revendication de la constitution d’un pouvoir palestinien indépendant. Ces forces sont appelées à lutter sans répit contre la répression qui s’intensifie dans les territoires occupés. […] Nous considérons comme notre devoir de dénoncer le gouvernement israélien qui refuse de reconnaître l’Organisation de libération de la Palestine (O.L.P.) comme le représentant du peuple arabe palestinien — d’autant plus qu’il devient évident que les masses palestiniennes la considèrent comme sa représentation authentique. Bien plus : étant donné que les masses palestiniennes dans les territoires occupés s’opposent à la continuation de l’occupation israélienne et au retour du roi Hussein, le bourreau de leur peuple, et désirent ériger une entité palestinienne indépendante dans les territoires d’où Israël sera amené à se retirer, il est de notre devoir de lutter pour leur droit de réaliser cette aspiration, et contre toute tentative de les en empêcher. ”

Reste la question que tout le monde se pose : et ensuite ? — à supposer que l’État palestinien dans les territoires évacués par Israël voie le jour, les problèmes majeurs qui ont motivé le retour aux armes par la résistance palestiniennes restent sans solution. Le document de Matzpen souligne qu’ils sont même posés avec plus de clarté et d’acuité qu’avant la guerre de juin 1967, et si un problème est clairement posé, c’est que sa solution existe déjà (Marx dixit). De quoi s’agit-il ?

— Des masses palestiniennes, dans les camps de réfugiés et en dehors d’eux, qui n’acceptent pas leur expulsion du pays, la répression et l’aliénation, et dont le problème ne sera pas résolu par la création d’un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza.

— Des Palestiniens citoyens d’Israël, dont le nombre atteint près d’un demi-million, qui y vivent comme citoyens de seconde zone, et pour qui cet État palestinien ne changera pas leur situation.

— Du fait qu’Israël restera même après retrait un des gendarmes de l’impérialisme dans la région, prêt à entrer en action dès que ses maîtres le lui enjoindront.

— pu fait que la dynamique de l’entreprise colonisatrice sioniste recevra un coup sévère, mais ne sera pas arrêtée pour autant. Israël, sioniste toujours, continuera à voir dans le rassemblement des Juifs du monde entier en ” Eretz-Israël historique ” sa grande mission, contre les intérêts de ses habitants et en opposition aux lignes de développement de la région.

La création dans l’immédiat d’un petit État palestinien répond à une partie des aspirations palestiniennes, tout en facilitant par le dégagement de la lutte des classes — voir la première partie de l’exposé —, la véritable solution : ” Nous le disons et le répétons, comme nous l’avons fait depuis toujours, la “question palestinienne” ne sera résolue pleinement que dans le cadre d’une victoire des forces révolutionnaires pour l’instauration du socialisme à l’échelle du Mashrek. Seulement, sera-t-on ainsi en mesure de chasser l’impérialisme, de battre ses agents en Israël et dans les pays arabes, d’abolir les frontières actuelles et d’unifier les peuples arabes, enfin d’assurer pleinement les droits des peuples non arabes qui vivent dans le Mashrek ?”

Néanmoins, sans répondre aux véritables aspirations des masses palestiniennes et israéliennes, l’éventualité d’une évacuation israélienne et d’un début d’indépendance palestinienne, même estropiée, a déjà eu des résultats favorables : ” Les développements qu’on vient d’analyser et qui font qu’un retrait israélien devient actuel et réalisable ont ravivé la combativité dans les territoires occupés. Mais, sans une action révolutionnaire, le retrait serait interprété comme un “miracle descendu du ciel” grâce aux efforts de Kissinger, Sadate et Fayçal. ” Le mot d’ordre révolutionnaire consiste à appeler d’ores et déjà à ” l’autogestion palestinienne sur la base d’un rassemblement des masses en des conseils ouvriers, paysans et réfugiés. Ainsi serait-il possible de développer une plate-forme de lutte plus vaste en vue du rassemblement des masses laborieuses palestiniennes pour une lutte politique de grande envergure, tout de suite et sans attendre la conférence de Genève “.

Qui peut mener cette lutte ? ” L’O.L.P. étant une organisation nationaliste et petite-bourgeoise n’est pas capable, de par sa nature même, de mener une lutte révolutionnaire. Sa nature petite-bourgeoise fait aussi qu’elle regarde et le peuple palestinien et le peuple israélien comme des entités non différenciées en classes. D’où les formes de lutte qui lui sont propres, entre autres la terreur sans discrimination, dont le seul but est de dire : nous sommes présents ! Pour l’O.L.P., l’essentiel ne réside pas dans la lutte populaire, qui peut-être tout au plus une lutte auxiliaire. Le mot d’ordre de “pouvoir palestinien” ne vient pas comme un appel pour une lutte populaire, mais est un projet d’accord où l’O.L.P. aura une place sur l’échiquier politique à côté des autres régimes arabes au pouvoir. Nous craignons même que la direction de l’O.L.P. s’emploie à arrêter et à liquider la lutte populaire contre une promesse lui permettant de régner dans un protectorat prétendu indépendant. ”

L’autre volant non moins important, où l’échec de la ligne politique de la direction de l’O.L.P. est peut-être le plus criant, a trait à son incapacité — on peut dire viscérale — de saisir la nature de la société israélienne :

“Les forces révolutionnaires palestiniennes doivent prendre en considération les affrontements politiques et la lutte des classes qui se déroulent à l’intérieur de la société israélienne, et qui risquent de s’amplifier au fur et à mesure que se fera sentir la pression extérieure sur Israël. Qu’elles ne restent pas indifférentes devant ces luttes et leurs résultats. La lutte révolutionnaire palestinienne doit tendre vers le renforcement de la solidarité avec ceux qui sont exploités en Israël. Simultanément avec la lutte contre le sionisme, il faut présenter devant le peuple israélien juif l’alternative d’une vie en commun dans le respect mutuel de tous les droits nationaux et démocratiques, y compris le droit à l’autodétermination. Une telle alternative servira la lutte des forces révolutionnaires en Israël en vue de détacher des couches toujours plus larges de l’emprise sioniste. “

[voir l’article suivant : La stratégie des pays arabes producteurs de pétrole — par Leila Kadi et Sadik El Azem]