La dernière guerre israélo-arabe a produit deux effets diamétralement opposés :
1) En démontrant désormais plus que jamais la dépendance d’Israël vis-à-vis des États-Unis et sa complète soumission à leur stratégie impérialiste au Proche-Orient.
2) Les régimes des pays pétroliers arabes les plus réactionnaires ont eu l’occasion de découvrir qu’ils disposaient désormais d’une assez large marge d’indépendance et de liberté d’action grâce aux récents développements de la structure du système économique impérialiste. D’où:
— le déclin de l’hégémonie américaine sur le camp impérialiste,
— la chute du système monétaire basé sur les accords de Breton-Woods,
— la défaite américaine au Vietnam,
— une compétition toujours plus dure entre les grands pays capitalistes,
— les fêlures chaque jour plus évidentes dans l’ensemble du système américain d’alliances militaires et politiques, etc., qui, s’ajoutant aux pressions arabes internes à leur apogée au moment de la guerre d’Octobre, ont pu pousser un monarque aussi réactionnaire que le roi Fayçal à réviser des positions politiques bien ancrées sur ses intérêts pétroliers.
Ces changements, variant d’un pays producteur à l’autre, d’une période à l’autre, se manifestent dans les tentatives répétées des gouvernements de ces pays pour asseoir leur autorité sur le déroulement des affaires et la politique pétrolière qui étaient jusqu’ici le fait des compagnies pétrolières et de leurs métropoles.
Pour ces régimes réactionnaires il s’agit, bien sûr, simplement de ” réformer ” le système en cours sans pour autant l’ébranler, afin de toucher une plus large part des revenus pétroliers — ce qui signifie une augmentation des prix et une lutte ouverte contre les compagnies pétrolières pour la distribution de ces nouveaux revenus.
Ce processus de ” réforme ” du système a connu récemment trois développements majeurs :
a) La réunion d’Abu-Dhabi en novembre 1974.
b) La poursuite du conflit et des négociations engagées entre l’Arabie Saoudite et l’Aramco.
c) La réunion de l’O.P.E.P. à Vienne en décembre 1974, et à Alger en janvier 1975.
La conférence d’Abu-Dhabi
Les 9 et 10 novembre 1974, six pays producteurs de pétrole du golfe (Arabie Saoudite, Iran, Irak, Koweït les Émirats arabes unis et Qatar) se sont réunis à Abu-Dhabi pour discuter du problème des prix du pétrole.
L’Arabie Saoudite, naturellement encline à faire virer le navire de l’actuel statu quo pétrolier, proposa de baisser le prix affiché de 40 cents le baril tout en augmentant la taxe et les redevances sur la quantité de brut qui revient aux grandes compagnies internationales à 85 % et 20 % respectivement. Comme on pouvait le prévoir, la proposition fut approuvée par les Émirats arabes unis et Qatar, tandis que l’Iran et l’Irak refusaient de s y associer.
Koweït, qui ne perd jamais de vue, sa délicate position entre les intérêts divergents de l’Irak et de l’Arabie Saoudite, s’est déclaré d’accord sur le principe, mais, tout en reconnaissant le droit d’un ou de plusieurs pays du golfe à mettre en pratique cette décision, il considère qu’une telle décision est du ressort de la conférence générale de l’O.P.E.P.
A son retour du Koweït, Abd Al-Rahman Al Atiqui, ministre des Finances et du Pétrole, devait expliquer la position de son gouvernement dans les termes suivants : “Nous ne sommes pas en désaccord avec les Saoudiens au sujet de la proposition qu’ils ont faite. Au contraire, sur le plan financier, cette mesure augmentera les revenus par baril tout comme le prix du pétrole. Toutefois, il nous semble qu’avant d’adopter cette décision, celle-ci doit être acceptée à l’unanimité par la conférence de l’O.P.E.P., du fait de la campagne en cours contre les producteurs de pétrole qui rend les Arabes responsables de l’augmentation des prix du pétrole, alors que les pays producteurs ne sont pas tous des pays arabes. C’est pourquoi toute augmentation de la fiscalité sur les compagnies pétrolières qui serait décidée au sein de l’O.P.E.P. n’isolerait pas les Arabes face aux critiques.
L’Irak s’est quant à lui déclaré opposé et à la proposition faite par les Saoudiens et à l’idée qu’une telle décision puisse être prise lors d’une réunion des pays du golfe plutôt qu’au cours d’une conférence de l’O.P.E.P. Une source officielle de la délégation irakienne devait expliquer la position du pays dans les termes suivants :
1) L’Irak pense que la réunion des États producteurs du golfe aurait dû être purement consultative et n’aurait dû prendre aucune décision concernant les prix. Ce genre de décision relève d’une conférence générale de l’O.P.E.P. ; sinon la solidarité de l’O.P.E.P. sera sapée à la base.
2) L’Irak n’est pas d’accord avec la proposition saoudienne. Bien qu’il considère l’augmentation des taxes et des redevances comme positive, il s’oppose catégoriquement à toute baisse du prix affiché qui ne pourrait à ses yeux que déprécier la structure des prix.
3) L’Irak cherche avant tout à renforcer la position des compagnies pétrolières nationales et considère que tel devrait être l’objectif de tout nouveau système de fixation des prix adopté par l’O.P.E.P. La proposition saoudienne ne lui paraît pas aller dans ce sens. Le système devrait être révisé afin de permettre aux compagnies pétrolières nationales d’être en tête du marché au lieu d’être à la queue.
La proposition saoudienne devait être adoptée le 10 novembre par les Émirats arabes unis et par Qatar et ensuite par la réunion d’Abu-Dhabi. En un sens cette proposition vient compléter les mesures capitales prises par es producteurs vers la fin de 1973 pour réglementer les prix et les quantités de pétrole produit. Ces mesures prises en 1973 ont en fait retiré aux compagnies pétrolières les derniers vestiges de leurs responsabilités traditionnelles en matière de fixation des prix affichés du pétrole brut et des volumes de production, pour les remettre aux mains des gouvernements des pays hôtes des compagnies pétrolières. Par contre, dans le domaine des ventes de pétrole brut, la masse des exportations (avoisinant 95 % dans la plupart des États du golfe) passe toujours par le canal des grandes compagnies pétrolières qui jouissent en fait d’un champ de manœuvre sans précédent, quoique temporaire sur le marché.
Cette situation risque désormais d’être radicalement modifiée par les décisions d’Abu-Dhabi qui, en resserrant étroitement les marges bénéficiaires des compagnies, devraient assurer une assez rapide prise en main par les gouvernements des pays producteurs et leurs compagnies nationales du marché des ventes à une tierce partie — les ” indépendants ” — ne laissant aux grandes compagnies que ce qui peut être nécessaire pour leurs circuits intégrés.
Les grandes compagnies conservaient un avantage jusqu’ici, en dépit de la progression de la part des compagnies nationales qui varie entre 25 % et 60 %. Il était essentiellement imputable à la différence entre le prix après taxes du brut des compagnies d’un côté, et le prix de vente pour la partie qui revient aux compagnies nationales, de l’autre. Avec l’ancien taux des redevances (12,5 %) et taxes (55 %) et la répartition des profits comptables 60 % au gouvernement, 40 % aux compagnies (calculés sur la base des prix affichés), la différence des prix augmentait singulièrement avec chaque augmentation successive des prix affichés, jusqu’à atteindre près de 4 dollars le baril en janvier-juin 1974 (bien que l’on doive faire attention à ne pas confondre ce chiffre avec le taux moyen de profit effectif des compagnies sur tous les barils remontés). En fait, cette large marge sur la quantité de brut a permis aux compagnies de se débrouiller dans leurs opérations de brut racheté aux gouvernements à un prix plus fort, pour produire un prix ” cocktail ” moyen, lequel est assez bas pour concurrencer les prix de ventes directs des gouvernements pratiqués par les compagnies pétrolières nationales de l’O.P.E.P.., tout en leur laissant toujours une belle marge de bénéfices.
Qui plus est, avec le surplus de production intervenu au cours de l’été, les difficultés augmentèrent pour les compagnies pétrolières nationales (qui avaient convenu entre elles de ne pas vendre à moins de 93 % des prix affichés) pour réaliser des ventes directes à un tiers en dehors des arrangements de rachats avec les grandes compagnies. Bien que la différence prix-impôt/prix-ventes directes gouvernementales ait été réduite approximativement à 2,50 dollars par baril par les décisions de juin et de septembre, lesquelles avaient augmenté les taux de redevances et de taxes à 16,67 % et 67,75 % respectivement, l’avantage restait acquis pour les grandes compagnies. Il devenait donc inévitable un jour ou l’autre d’introduire une certaine uniformité des prix, entre autres dans le but d’améliorer le marché pour les compagnies nationales. Le seul point d’interrogation portait sur les mécanismes du système de fixation des prix.
Ici on se trouvait en face de deux approches : d’un côté l’Arabie Saoudite a soumis à la conférence de l’O.P.E.P. à Vienne, en septembre dernier, une proposition portant sur la baisse des prix affichés allant de pair avec une augmentation des taxes et redevances pesant sur le volume de brut des compagnies. A l’époque, ce plan des Saoudiens, très similaire à celui adopté par trois des pays du golfe à Abu-Dhabi, a été favorablement accueilli par un certain nombre de membres influents de l’O.P.E.P., mais fut finalement bloqué par l’opposition irréductible de plusieurs autres à toute réduction des prix affichés, aussi symbolique soit-elle. L’Iran, de son côté, aurait soumis son propre plan à la commission de travail de l’O.P.E.P. qui s’est réunie à Vienne en septembre (et à laquelle l’Arabie Saoudite ne participait pas), et y aurait remporté un certain succès pour un projet d’uniformisation du système de fixation des prix, qui impliquait l’élimination du mécanisme des prix affichés. Cela aurait donné un prix de marché autour de 10,35 dollars le baril, sur lequel les grandes compagnies auraient droit à une marge de 50 cents par baril sur une certaine proportion de la production (disons 60 à 70 % du total des exportations). ” Le prix des grandes compagnies ” serait alors de l’ordre de 9,85 dollars par baril, équivalent en gros au coût moyen du brut (avant la décision prise à Abu-Dhabi) sur la base des 60/ 40 % répartis entre les sociétés nationales et les grandes compagnies (les ” majors “).
Ces deux plans sont assez proches par leurs effets en termes purement numériques. Tous deux sont destinés à unifier les différents niveaux de prix, limiter les profits des compagnies sur le brut à une marge plus ou moins fixe et renforcer le potentiel de ventes des compagnies nationales. Mais ils peuvent comporter des différences essentielles dans les implications des mécanismes respectifs, sans même parler des questions de prestige et de leadership au sein de l’O.P.E.P.
On peut résumer les motifs qui poussaient l’Arabie Saoudite à lancer son initiative dans le golfe avant la conférence générale de l’O.P.E.P. à Vienne le 12 décembre dans les termes suivants : 1) entreprendre une action efficace pour résoudre les tentatives échouées du plan saoudien visant à une reprise à 100 % de l’Aramco par le gouvernement ; 2) agir sans perdre de vue sa vieille politique visant à réduire même modestement les prix affichés pour faire un geste vis-à-vis des consommateurs, avec une référence particulière pour l’Europe et le Japon ; 3) se prémunir contre toute décision gênante qui pourrait être prise à Vienne au sein de la conférence générale de l’O.P.E.P. Pour ce qui est des chiffres, cette mesure aura pour effet de baisser d’un côté le prix des ventes gouvernementales directes à une tierce partie (dans le cas de l’Arabie Saoudite) d’environ 38 cents le baril (de 10,84 à 10,46 dollars), et d’augmenter le prix-impôt du brut des grandes compagnies d’environ 1,55 dollar le baril, qui passerait ainsi de 8,36 à 9,91 dollars. En d’autres termes : un certain soulagement pour les compagnies nationales indépendantes en Europe et au Japon d’un côté, une sévère réduction des marges de profit des ” majors “, principalement américains, de l’autre.
De plus, la décision prise par les trois pays en question de geler leurs prix affichés et taux de taxes pour une période de neuf mois jusqu’en juillet 1975 marque clairement une volonté de réintroduire une part de stabilité dans le prix du brut, et signifie probablement qu’au moins en ce qui concerne ces trois pays il n’y aura pas d’augmentation des prix ni d’indexation sur l’inflation durant la première moitié de 1975, comme l’O.P.E.P. l’avait envisagé auparavant.
D’un autre côté, le résultat final de l’ensemble de ces mesures sera d’augmenter le prélèvement gouvernemental dans le cadre de la répartition de 60 % (brut de participation, part des sociétés nationales) et de 40 % (brut des ” majors “), de 40 à 52 cents par baril, qui passe de 9,745 à 10,144-10,266 dollars. Et là, bien sûr, la grande astuce est que cette augmentation ne sera certainement pas prise en charge par les compagnies, mais se répercutera, comme c’est généralement le cas, sur les consommateurs.
Les porte-parole des pays concernés ont beaucoup insisté à Abu-Dhabi sur le fait que les mesures qu’ils avaient prises laissaient aux ” majors ” une marge confortable, et qu’elles devaient absorber elles-mêmes les charges accrues et ne pas les répercuter sur les consommateurs. Ahmad Zaki Yamani, ministre saoudien du pétrole, le formulait ainsi : “Ce que nous avons fait consiste à enlever quelque chose aux compagnies pétrolières pour le donner aux consommateurs. Les compagnies pétrolières ont réalisé des profits excessifs — des marges gigantesques —, et nos mesures se proposent de réduire ces marges à un niveau raisonnable. Les charges accrues qui en découlent devraient être absorbées par les compagnies, et en aucun cas se répercuter sur les consommateurs. Nous pensons entrer en contact avec les consommateurs et leur expliquer clairement cette question. ”
Les décisions arrêtées par l’Arabie Saoudite, les émirats arabes unis et Qatar, effectives à partir de novembre 1974 jusqu’à la fin de juillet 1975, sont donc les suivantes :
1) Baisse des prix affichés du brut de 40 cents par baril (cette baisse est uniforme, sans tenir compte de la qualité ou de la localisation).
2) Augmentation du taux des redevances qui passe de 16,67 % à 20 %.
3) Augmentation du taux d’impôt sur les bénéfices applicable aux compagnies pétrolières, qui passe de 65,75 % à 85 %.
Bien qu’il n’y ait eu aucun accord formel au sujet des prix de rachat pour les ventes gouvernementales de brut aux grandes compagnies, les trois pays sont en fait d’accord pour fixer le prix a 94,8 % des nouveaux prix affichés à dater du 1er novembre 1974 (en comparaison de l’arrangement originel de 93 % des anciens prix affichés, pour le dernier trimestre de 1974, à Abu-Dhabi et Qatar).
La différence d’intention n’en serait pas moins claire en ce qui concerne le prix des ventes gouvernementales directes à une tierce partie. Mana Said Al Otaiba, ministre du Pétrole des Émirats arabes unis devait déclarer à ce sujet que son gouvernement vendra au même prix à une tierce partie ou aux grandes compagnies qui rachètent du brut, c’est-à-dire à 94,8 % des nouveaux prix affichés. L’Arabie Saoudite, quant à elle, pense fixer son prix de vente directe à une tierce partie à 93 % des nouveaux prix affichés (ce qui constitue une différence avec les 94,8 % des nouveaux prix affichés pour les rachats de brut par les propriétaires étrangers de l’Aramco). Cela a été confirmé par le ministre saoudien du Pétrole qui devait déclarer que le prix calculé sur la base de 93 % des nouveaux prix affichés s’appliquerait aux ventes directes, à la fois pour les anciens contrats dont les prix seront calculés sur la base de 93 % des nouveaux prix affichés, c’est-à-dire que le baril descendrait de 10,835 à 10,463 dollars, et aux nouvelles ventes. Il a également indiqué que l’Arabie Saoudite vendrait bientôt davantage de brut directement aux tierces parties.
L’Arabie Saoudite et l’Aramco
Au début de l’année 1974, l’Arabie Saoudite s’était provisoirement retenue avant d’appliquer les augmentations de taxes et de redevances décidées par l’O.P.E.P. en juin et septembre, car elle attendait de voir l’issue des négociations engagées avec l’Aramco au sujet d’un nouvel arrangement, qui lui donnerait une participation à 100 %. L’Arabie Saoudite déclara, néanmoins, que les augmentations des taux étaient justifiées en raison du niveau excessif des profits prélevés par les compagnies mais préconise également une réduction concomitante du prix affiché, afin de ne pas surcharger les consommateurs.
Mais le temps passait, et l’Arabie Saoudite commençait à perdre patience face à la résistance qu’opposait l’Aramco au projet. Techniquement parlant, la résistance semblait partir des implications financières de la proposition et particulièrement de l’obligation faite à l’Aramco d’effectuer ses achats de brut au prix du marché libre… et non pas à un prix préférentiel. On devait aboutir à l’impasse lorsque les Saoudiens, exaspérés du manque de progression et par ce qu’ils considéraient comme une tactique inadmissible de la compagnie, réclamèrent un accord écrit sur les grandes lignes de leur proposition avant d’entamer les aspects concrets. A la mi-octobre, rien ne semblant bouger, les Saoudiens apparemment décidèrent que, si le plan de participation à 100 % ne pouvait être appliqué du t’ait de l’opposition des compagnies, les aspects fiscaux de l’arrangement des 60/40 % en cours devraient, quant à eux au moins, être réajustés pour se conformer à la norme requise. Et c’est ce schéma de raisonnement qui conduit directement à la décision prise à Abu-Dhabi.
La logique d’Abu-Dhabi, avec la menace directe qu’elle fait peser sur la position financière et le marché des compagnies, est de toute évidence parvenue à débloquer la route qui conduit à un règlement satisfaisant pour l’Arabie Saoudite. En fait, les compagnies n’avaient guère le choix, car l’Arabie Saoudite se proposait d’offrir 40 % de la production de l’Aramco (c’est-à-dire deux tiers des 60 % revenant au gouvernement), soit 3,4 millions de barils par jour (sur la base d’une production moyenne de 8,5 millions de barils par jour) pour les ventes directes sur le marché mondial aux tierces parties indépendantes, excluant ainsi spécifiquement les propriétaires de l’Aramco et les autres ” majors “. Le prix fixé pour ces ventes directes aurait été sensiblement plus bas que celui qui avait été avancé auparavant sur la base de 93 % des nouveaux prix affichés (93 % des nouveaux prix affichés de 11,251 dollars par baril donneraient 10,463 dollars par baril). Une telle quantité de brut gouvernemental jeté sur le marché à un prix substantiellement plus bas que celui du brut racheté au gouvernement par les propriétaires de l’Aramco (à 94,8 % des prix affichés), s’ajoutant aux lourdes augmentations des taxes payées sur le brut des compagnies après la conférence d’Abu-Dhabi, aurait tout simplement signifié la fin de la domination traditionnelle des grandes compagnies sur le marché du pétrole :
— tout d’abord en les privant d’un seul coup d’une large part en volume du commerce mondial du pétrole ;
— puis, en réduisant leur profit sur la production du brut à une marge négative.
Suite à la percée sur le front de l’Aramco, ce plan ne sera pas mis en pratique. L’Arabie Saoudite vendra, en temps voulu, des quantités supplémentaires de brut aux compagnies indépendants, sur la base d’un accord de gouvernement à gouvernement, mais pas d’une façon aussi spectaculaire que le réclamait le projet élaboré à Abu-Dhabi.
Dans les grandes lignes, on peut décrire ainsi le nouvel accord entre l’Arabie Saoudite et les grandes compagnies :
— Le gouvernement de l’Arabie Saoudite reprendra Aramco à 100 %. Le coût de l’opération sera calculé selon les mêmes principes adoptés lors de l’acquisition de la participation à 60 %, à savoir que la base du calcul sera plus ou moins la valeur comptable nette courante, qui est actuellement de deux milliards de dollars pour l’Aramco. Mais il faut noter que le gouvernement saoudien a déjà versé 500 millions de dollars pour sa part de 25 % acquise en 1973 selon la formule plus coûteuse de la “valeur actualisée “, et cela devra probablement être pris en ligne de compte pour la détermination de la somme payable pour l’achat à 100 % des parts.
— Les ex-propriétaires de l’Aramco se verront garantir un certain volume de pétrole brut — dont la quantité exacte n’a pas encore été fixée —, aux prix pratiqués sur le marché. C’est-à-dire que le gouvernement vendra son pétrole brut aux ex-propriétaires de l’Aramco et aux tierces parties indépendantes, au même prix, sans discrimination.
— Les ex-propriétaires continueront d’apporter tous les services de management, opérationnels et techniques que le gouvernement pourrait lui demander. En compensation, les compagnies recevront des honoraires dont le montant sera fixé à la lumière d’une évaluation correcte des services rendus. Néanmoins, on doit également noter que le rôle de la future ” Aramco Saoudienne ” pourrait bien ne pas se limiter à la production et à l’exportation du pétrole mais comprendre d’autres travaux d’infrastructure et des investissements industriels dans le royaume. De toute évidence, cela élargira le champ des services technologiques apportés par les compagnies, tout en donnant une nouvelle dimension à l’Aramco saoudienne en projet, ce qui serait sans précédent dans tous les accords pétroliers conclus ailleurs.
— Des accords séparés seront conclus pour que soient convenablement rétribués les frais engagés dans la poursuite des recherches pétrolières par les ex-propriétaires de l’Aramco dans son périmètre de prospection qui ont été faites sur la demande du gouvernement.
— Un accord si nouveau dans le premier pays exportateur de pétrole du monde aura certainement des implications très étendues :
1) Il est évident que le nouveau système adopté en Arabie Saoudite rendra désuet l’actuelle structure fiscale basée sur les taxes et redevances gouvernementales pesant sur le volume de brut attribué aux compagnies et calculée sur une référence artificielle de la relation prix après taxe/ prix affiché, étant donné qu’il n’y aura plus de compagnies soumises à ces taxes ni de volume de brut qui leur revienne, puisqu’il n’y aura plus que des ventes au prix du marché. Pour l’O.P.E.P., cela signifie tout d’abord que les décisions prises à Abu-Dhabi sont dépassées, ayant un caractère très passager, comme une borne kilométrique au long de la route, vers une réorganisation plus radicale, et ne seront donc pas adoptées par la conférence de Vienne, comme on le verra plus loin. L’O.P.E.P. devra désormais concentrer ses efforts pour parvenir à un accord concernant les prix des ventes actuelles sur une base globale au lieu de se référer à la relation prix après taxe/prix affiché (ce qui signifiera également que, s’ils veulent stabiliser le marché et éventuellement se le répartir, les pays de l’O.P.E.P. devront adjoindre à leur accord sur les prix de vente minimum une décision commune, aussi informelle soit-elle, sur la quantité à produire). Tout cela prend bien entendu corps avec la politique actuelle suivie par l’O.P.E.P. qui tend à laisser dans l’ombre les prix affichés pour se diriger vers un système d’uniformisation des prix de vente. Mais des divergences d’opinion peuvent exister au sein des États membres de l’O.P.E.P. quant au taux actuel du prix de marché minimum proposé par l’organisation — et ce fut effectivement la principale difficulté lors de la conférence de Vienne.
2) L’accord de 100 % de l’Arabie Saoudite sera sans doute lourd de conséquences sur les accords de participation existant dans le golfe et ailleurs, et les Émirats arabes unis ont déjà déclaré qu’ils pensaient prendre le même chemin des 100 %.
Il y a un nombre important de points de détail qui doivent être résolus avant que l’on puisse avoir un tableau complet de la nouvelle situation en Arabie Saoudite : le montant des honoraires perçus par les ex-propriétaires des compagnies pour les services rendus à la nouvelle affaire aux mains des Saoudiens ; la quantité de brut garantie aux compagnies ; la détermination du prix du marché auquel les compagnies acquerront le pétrole ; et les arrangements séparés à conclure pour trouver de nouveaux forages à exploiter.
La réunion de l’O.P.E.P. à Vienne
Le 12 décembre 1974, les États membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole se réunissaient à Vienne pour y tenir leur XLII conférence. Ils devaient discuter de la mise sur pied d’un nouveau système de prix. Ils se trouvaient en face de deux propositions principales : l’une était la proposition iranienne pour l’abolition du système des taxes et redevances calculées artificiellement sur la relation prix affichés/prix après taxe en faveur d’un prix unifié tenant compte d’une marge automatique de profits pour les compagnies pétrolières qui opèrent dans ces pays. L’autre prenait racine dans la décision que nous venons d’analyser, prise à Abu-Dhabi le 10 novembre par trois États du golfe.
La décision finalement adoptée par l’O.P.E.P. s’inspire des deux propositions en adaptant le schéma iranien, pour qu’il ne contrevienne pas aux effets financiers de la résolution d’Abu-Dhabi.
La proposition iranienne aurait dû donner un prix de marché de 10,35 dollars par baril pour le brut léger d’Arabie. Les compagnies auraient eu droit à une marge de 50 cents par baril en dessous de ce chiffre, sur 40 % de la production correspondant à la part qui leur revient après l’accord de 60/40 % conclu dans le golfe. La formule iranienne aurait ainsi abouti à une recette gouvernementale moyenne de 10,03 dollars par baril, avec les 40 % de brut des grandes compagnies à 9,85 dollars, et les 20 % des sociétés nationales au prix du marché de 10,85 dollars, moins le coût de production de 12 cents. Or, l’effet financier global des décisions d’Abu-Dhabi était en gros le même : recette gouvernementale moyenne de 10,12 dollars par baril, avec les 40 % du brut des ” majors ” au prix-impôt de 9,92 dollars, et les 60 % des sociétés nationales vendus à 10,46 dollars (93 % du nouveau prix affiché réduit), moins les 12 cents du coût de production.
C’est ce dernier chiffre de 10,12 dollars par baril que l’O.P.E.P. devait retenir comme point de départ de son nouveau système de fixation des prix. Ce chiffre sera appliqué comme “la recette gouvernementale moyenne sur les compagnies pétrolières travaillant sur son sol ” pour une période de neuf mois du 1er janvier au 30 septembre 1975. Cela signifie pratiquement la disparition du système des prix affichés.
Un trait caractéristique de ce schéma est que l’O.P.E.P. a bel et bien abandonné le plan qu’elle avait préparé à la conférence précédente de septembre pour indexer le prix du pétrole sur l’initiation à partir de janvier 1975. L’O.P.E.P. a finalement opté pour une période de stabilité des prix de neuf mois, qui, si l’on prend en considération le taux moyen d’inflation mondial de 14 %, signifie une érosion de 10 % au moins sur le prix du pétrole en valeur réelle. Le communiqué final signalait que, afin de respecter le nouveau système de prix, “pour l’instant […] l’Arabie Saoudite, suivie par Qatar et les Émirats arabes unis, sont en train de négocier avec les compagnies pétrolières étrangères les termes d’un nouvel accord qui pourrait être rétroactif “. Cela signifie en pratique que le nouveau système lui-même est déjà éclipsé par la perspective du futur rachat à 100 % de l’Aramco par le gouvernement saoudien — un exemple qui sera sans aucun doute bien vite suivi par les autres États du golfe où les compagnies conservent un intérêt majeur dans les opérations pétrolières. L’Arabie Saoudite quant à elle espère bien que ce nouveau prix de marché, unifié et pour les grandes compagnies (” majors “) et pour les tierces parties (” indépendants “), par son rachat prévu à 100 % s’établira à un taux un peu inférieur aux 10,12 dollars par baril auxquels l’O.P.E.P. se réfère dans sa résolution. Il est paradoxal de voir qu’en dépit du désir évident de l’O.P.E.P. de simplifier et non pas de compliquer le calcul des prix pétroliers, le nouveau système, dont les grandes lignes sont données dans le communiqué, provoque déjà plusieurs interprétations quant à sa mise en pratique. Ici on se trouve en face de deux problèmes principaux : 1) quel sera le prix des ventes gouvernementales aux tierces parties ? et 2) comment interpréter la phrase ” la recette gouvernementale moyenne sur les compagnies pétrolières travaillant sur son sol ” ?
En ce qui concerne le premier point, bien que le rachat par les compagnies soit calculé sur la base de 93 % des plus bas prix affichés fixés à Abu-Dhabi — les États membres ne se sont pas mis d’accord pour fixer le prix des ventes gouvernementales directes aux tierces parties —, cette question est de toute évidence cruciale pour déterminer la marge des grandes compagnies par baril, c’est-à-dire pour établir la différence entre le coût moyen du brut des ” majors ” et le prix sur le marché. La plupart des États membres considèrent que les ventes directes doivent également se faire sur la base de 93 % des prix affichés à Abu-Dhabi, c’est-à-dire à 10,46 dollars par baril pour le brut léger. L’Arabie Saoudite a refusé de s’engager en la matière, se contentant d’assurer qu’elle ne vendra pas aux “indépendants ” au-dessous du prix composé par i recette gouvernementale sur le brut des ” majors ” (9,80 dollars le baril) et le coût de production. Si l’Arabie Saoudite devait vendre directement à des tierces parties de grandes quantités dans un avenir proche, ce qui ne saurait être le cas à moins que les négociations sur le rachat à 100 % de l’Aramco ne progressent, le prix tomberait à un peu moins de 10,12 dollars par baril mais dépasserait les 9,80 dollars par baril qui est la recette gouvernementale. Même une fois l’accord conclu avec l’Aramco, il n’y aura plus qu’un seul prix de vente pour tous les acheteurs, qu’il s’agisse des ex-propriétaires ou des indépendants.
En ce qui concerne le second point, la majorité des États membres interprètent ainsi la phrase ” recette gouvernementale moyenne sur les compagnies pétrolières travaillant sur son sol ” : dorénavant il y aura un seul prix, actuellement 10,12 dollars de recette gouvernementale plus 12 cents de coût de production, soit au total 10,24 dollars le baril de brut léger d’Arabie. Or, l’Arabie Saoudite considère que le chiffre de 10,12 dollars comme recette gouvernementale n’est qu’un point de repère pour fixer la moyenne. Le ministre du Pétrole saoudien M. Ahmed Zaki Yamani l’a souligné en déclarant que le prélèvement du gouvernement saoudien se situerait au-dessous de 10,12 dollars le baril. La position saoudienne semble introduire davantage de souplesse dans l’attitude des pays producteurs envers les compagnies pétrolières, ” majors ” et ” indépendants “.
De plus, l’O.P.E.P. a cherché à jeter les bases du futur dialogue avec les consommateurs, en décidant d’organiser une réunion commune des ministres des Affaires étrangères et du Pétrole de l’O.P.E.P. à Alger le 24 décembre. Il est clairement établi que cette réunion doit fixer une date pour la conférence au sommet des pays de l’O.P.E.P. dont l’idée avait été lancée par Boumedienne. Cette conférence serait consacrée aux grandes questions économiques et monétaires, dans le but de parvenir à une position commune des pays de l’O.P.E.P. pour établir le dialogue producteur-consommateur, de préférence sous la forme de la conférence trilatérale prônée par la France qui devrait réunir les producteurs de pétrole, les pays industrialisés consommateurs et les consommateurs du tiers monde.
Une autre décision significative a été prise sur un autre plan, en ce qui concerne la commercialisation du pétrole par les compagnies nationales. La question a été soulevée à la suite d’une plainte d’un État du golfe dont l’un des clients de gaz liquéfié aurait été boycotté par un groupe de compagnies japonaises. Suite à cette plainte, les pays membres de l’O.P.E.P. se sont fermement mis d’accord pour déclarer que : “Si une compagnie ou un groupe de compagnies fait une discrimination ou boycotte une compagnie nationale de l’O.P.E.P. ou l’un de ses clients, une action appropriée qui peut aller jusqu’au boycottage de cette compagnie ou groupe de compagnies devra être appliquée par tous les pays membres de l’O.P.E.P.” On assiste sur ce plan à un mouvement de solidarité farouche entre les membres de l’O.P.E.P. défendant leurs compagnies nationales.
La réunion de l’O.P.E.P. à Alger
La conférence des ministres du pétrole et des Affaires étrangères de l’O.P.E.P. a eu lieu à Alger du 24 au 26 janvier sur un arrière fond de menaces grandissantes proférées par les Américains, face auxquelles les Arabes multipliaient les assurances. Les menaces visaient directement les régimes pétroliers arabes. Les assurances offertes ont clairement pris forme lorsque les Saoudiens proclamèrent aux plus haut niveau que l’Occident n’avait aucune raison de croire que les pays arabes producteurs de pétrole cherchaient à étrangler l’économie occidentale, ce qui équivaudrait à un suicide pour les pays arabes en question. Les États-Unis et le monde occidental en général devaient s’entendre réaffirmer que les pays arabes producteurs de pétrole n’ont aucun intérêt à voir s’effondrer l’économie occidentale. Sadate devait offrir des garanties similaires mais avec davantage de ménagements en déclarant que ” son ami Henri ” avait tort de proférer de telles menaces. Bien entendu la nécessité de dénoncer les menaces américaines ne fit pas défaut, la réunion de l’O.P.E.P. devait montrer que les menaces américaines n’étaient pas tombées dans le vide. Et, en dépit du caractère menaçant des déclarations américaines, l’esprit de conciliation face à l’Occident dominait nettement la conférence.
Les documents reflètent une double tendance. Tout d’abord, le désir qu’ont les régimes pétroliers de préserver autant que possible leur toute nouvelle autonomie face aux compagnies pétrolières et de tirer parti de cette marge de manœuvre acquise depuis peu. Deuxièmement, de ne pas aller trop loin en s’aliénant les U.S.A. et les principaux consommateurs afin de ne pas ruiner leurs positions. Bien entendu, tous les régimes arabes n’envisagent pas de la même façon le parti qu’ils peuvent tirer de leur marge de manœuvre et de leur autonomie. L’Arabie Saoudite s’en tient naturellement à une position prudente. Elle n’était pas enthousiaste à l’idée d’une conférence au sommet de l’O.P.E.P. dont elle n’a accepté le principe qu’après s’être assurée que le document essentiel présenté à la conférence d’Alger (par les Algériens) incluait un certain nombre d’idées et de thèmes préconisés par Ryad. Mais on sait de source saoudienne, que sa participation au prochain sommet (en mars 1975) était conditionnée par l’agenda et les recommandations finalement retenues au cours des consultations préliminaires.
Les propositions algériennes s’inspiraient de la ” Déclaration et du Programme d’Action pour un Nouvel Ordre Économique International ” adopté en avril 1974 par la 6e Session Spéciale de l’Assemblée Générale des Nations Unies consacrée aux problèmes des matières premières et du développement, ainsi que des discours tenus par les diverses délégations de l’O.P.E.P. au cours de cette réunion. En voici le détail.
1) Proposition générale :
Cette ” Proposition générale pour le Développement et la Coopération Internationale ” est la pierre de base du grand dessein algérien. Elle se divise en trois grandes parties : mesures de l’O.P.E.P. en faveur des pays ” en voie de développement ” non-pétroliers ; mesures des pays industrialisés en faveur du Tiers-Monde (y compris les pays de l’O.P.E.P.) ; mesures de l’O.P.E.P. en faveur des pays industrialisés. Cette proposition générale a été préparée pour être discutée au sein de la conférence internationale prévue entre les pays industrialisés et le Tiers-Monde pour traiter de la crise économique mondiale, mais il est clairement prévu qu’au cas où la conférence ne se tiendrait pas, les pays exportateurs de pétrole commenceraient à mettre en pratique les mesures préconisées avec ceux des pays industrialisés qui seraient prêts à souscrire au plan.
Les suggestions suivantes se rapportent aux mesures que prendrait l’O.P.E.P. en faveur des pays industrialisés :
A) Livraison du pétrole : les membres de l’O.P.E.P. s’engageraient à fournir au marché mondial les quantités de pétrole nécessaires. Ce qui signifierait que certains des pays membres accepteraient d’entamer leurs réserves pétrolières au-delà de leurs besoins financiers. Cet engagement ne saurait donc être permanent, mais il est destiné à permettre aux pays industrialisés de mettre en œuvre des programmes tendant à réduire le gaspillage et à développer de nouvelles sources d’énergie.
B) Prix du pétrole : afin de laisser aux pays industrialisés les plus touchés par la crise le temps de redresser leur balance commerciale et d’utiliser de nouvelles sources d’énergie, les membres de l’O.P.E.P. seraient d’accord pour ne pas augmenter le prix du brut en valeur effective durant une période transitoire de 6 ans allant jusqu’à la fin de 1980, au cours de laquelle le prix de base du 1er janvier 1975 serait graduellement indexé sur le taux d’inflation, si bien qu’au cours des 3 premières années le prix du brut enregistrerait une chute en valeur effective. Cette indexation raccorderait le prix du pétrole aux prix de toutes les matières premières, des services de première nécessité, des produits alimentaires, des produits manufacturés, biens et Services d’investissement fournis par les pays industrialisés aux membres de l’O.P.E.P. Après cette période de transition le prix serait augmenté en fonction des sources d’énergie de rechange et des besoins financiers des pays de l’O.P.E.P. Le calendrier des diverses étapes de la période transitoire pourrait être le suivant :
i) Pour l’année 1975 le prix du brut pourrait être gelé au taux du 1er janvier 1975.
ii) Pour 1976 et 1977, les prix du pétrole pourraient être réajustés pour compenser en partie l’inflation en fonction de l’index qui sera adopté, avec un pourcentage plus fort en 1977.
iii) Pour les trois dernières années de 1978 à 1980, les prix réajustés compenseraient totalement l’inflation en fonction de l’index qui aura été adopté.
C) Recyclage des pétro-dollars : afin de soulager la balance des paiements des pays industrialisés les plus touchés par la crise, en particulier certains États européens et le Japon, les membres de l’O.P.E.P. seraient prêts à envisager l’octroi de crédits à ces pays, y compris des crédits spéciaux pour l’achat de pétrole sans que cela puisse aliéner leur droit à employer librement leurs fonds. Il est également stipulé que ces transactions de crédits devront être réglées soit directement entre les pays concernés ou par l’intermédiaire d’institutions financières internationales multilatérales, sans l’intervention ” de puissances intermédiaires “.
Pour ce qui est de l’aide de l’O.P.E.P. aux pays ” en voie de développement ” qui ne produisent pas de pétrole, la proposition algérienne envisage :
A) Diverses formes d’assistance financière, y compris des dons d’urgence, des crédits spéciaux pour l’achat de pétrole et d’autres crédits spéciaux pour le développement, qui s’effectueraient sur une base bilatérale, régionale ou internationale multi-latérale.
B) Un programme pour la construction de 10 grandes usines d’engrais chimiques situées dans les pays de l’O.P.E.P., chacune d’une capacité de 820 tonnes de nitrogène par jour, soit une capacité annuelle agrégée de près de 3 millions de tonnes d’équivalent nitrogène, qui correspond à deux tiers ou trois quarts des importations de ce produit par les pays du Tiers-Monde. La production de ces usines serait acheminée vers les pays les plus démunis, par l’intermédiaire d’un organisme spécialisé sous le contrôle de la F.A.O., à des conditions avantageuses : seul le coût de production et de transformation de la matière première (probablement du gaz naturel) sera facturé. Les pays de l’O.P.E.P. fourniraient gratuitement le gaz et s’occuperaient de l’acheminer. Les pays industrialisés se verraient demander d’octroyer des crédits spéciaux aux pays exportateurs de pétrole pour financer la construction des usines.
C) Maintenir te prix des matières premières par divers moyens, particulièrement en finançant des stocks de réserves.
De plus, la proposition générale énumère une série de mesures que devraient adopter les pays industrialisés en faveur du Tiers-Monde. La plus importante concernant une juste fixation des prix des matières premières produites par les pays en voie de développement ; l’engagement que prendraient les pays industrialisés pour exporter la plus récente technologie, facilitée par la création d’un organisme spécialisé situé au niveau gouvernemental pour promouvoir le développement économique du Tiers-Monde ; l’ouverture des marchés des pays industrialisés aux produits manufacturés des nations ” en voie de développement ” ; et développer et faciliter les transferts financiers vers le Tiers-Monde pour les besoins du développement.
2) Autres propositions
L’Algérie devait également lancer ces autres propositions en tant que document de travail :
A) Réforme du système monétaire international pour permettre davantage de participation active du Tiers Monde dans les décisions prises. Entre autres : interdiction des taux de change flottant pour les principales monnaies utilisées pour les comptes et accords internationaux ; donner au Tiers-Monde une voix effective dans les décisions à prendre au sujet de la valeur des monnaies nationales et du prix de l’or ; et élargir jusqu’à 50 % le droit de vote des pays du Tiers-Monde au sein du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale.
B) Pour souligner la solidarité existante au sein de l’O.P.E.P. face aux menaces d’agression, tous les membres devraient : i) installer des mécanismes de défense sur les lieux de leurs installations pétrolières qui puissent être utilisés en cas d’agression et ii) imposer un embargo radical sur les livraisons de pétrole à destination de toute puissance mêlée à un acte d’agression contre tout État membre de l’O.P.E.P.
C) Réglementation de la production tout en réaffirmant l’engagement pris par l’O.P.E.P. de fournir au marché mondial les quantités de pétrole requises pour faire tourner normalement l’économie mondiale. Les pays de l’O.P.E.P. devraient établir une coordination étroite leur permettant d’ajuster sans cesse leurs taux de production aux volumes strictement nécessaires.
” Prudence ” semble bien avoir été le mot clef de cette conférence de l’O.P.E.P. visiblement désireuse de satisfaire tout le monde y compris les régimes du Tiers-Monde. Mais le souci principal était toujours d’éviter que les pays européens et le Japon ne s’unissent sous la férule américaine pour faire front contre l’O.P.E.P. On achète donc le silence du Tiers-Monde, on assure l’Europe et le Japon sur la production de pétrole, et les futurs prix pratiqués, on recycle les pétro-dollars sans avoir recours à la provocation face aux États-Unis. Et pour couronner le tout, les membres de l’O.P.E.P. ont apaisé leur conscience face aux menaces américaines en promettant d’adopter des mécanismes de défense pour parer à toute agression. Les grands perdants sont les masses opprimées des pays producteurs de pétrole.
[voir l’article suivant : Judaïsme et sionisme… à bâtons rompus : Discussion entre Maxime Rodinson, Israël Shahak et Eli Lobel]