Le texte suivant est la traduction d’un article de Combat, publié en arabe et en hébreu par l’Alliance communiste révolutionnaire, et qui se définit de la manière suivante :
« Un groupe nouveau-né de révolutionnaires arabes et juifs qui ont entrepris de promouvoir parmi les habitants d’Eretz-Israël-Palestine la cause du combat anti-impérialiste et de la révolution socialiste dans l’Orient Arabe.
« L’Alliance communiste révolutionnaire a été fondée par un groupe de camarades qui ont quitté l’Organisation socialiste israélienne (Matzpen) et qu’ont rejoints un certain nombre de révolutionnaires qui, jusqu’à maintenant, étaient restés inorganisés. Le premier numéro de Combat explique les origines de la scission, et apporte une plate-forme politique qui sera à la base du travail de l’A.C.R. »
- Vers une nouvelle perspective
L’Organisation socialiste israélienne a été depuis la guerre de juin 1967 l’organisation israélienne la plus active dans le combat contre l’occupation des territoires arabes et aussi contre le sionisme en général. Bien avant la guerre, l’O.S.I. était la seule formation politique en Israël à entreprendre une analyse essentielle du sionisme, et à montrer que l’union socialiste du Moyen-Orient est la seule perspective pour les masses de la région, y compris pour les masses juives. C’est le Matzpen qui a souligné le rôle de la Histadrouth en tant qu’instrument de la propagande sioniste, et qui a lancé un appel aux ouvriers à s’organiser en dehors de ce cadre. Matzpen est également le seul journal révolutionnaire en Israël à avoir publié les positions des révolutionnaires palestiniens et à avoir discuté avec eux ; le Matzpen a été l’un des éléments les plus actifs dans le combat démocratique contre les lois d’urgence, contre les arrestations administratives et dans toutes les luttes de ce genre. En dépit de cela, et parfaitement conscients des responsabilités que nous prenons– nous – un petit groupe de camarades – avons décidé d’abandonner les rangs de l’O.S.I.
Deux raisons principales ont motivé notre décision :
- l’absence de programme ;
- l’absence de toute stratégie politique, comme de toute structure organisationnelle permettant la réalisation d’une telle stratégie.
En tant qu’unique opposition active au sionisme (en dehors du P.C. israélien Rakah qui pour diverses raisons, entre autres idéologiques, ne peut pas constituer un pôle d’attraction) l’O.S.I. est devenu le centre de ralliement d’un ensemble de gens d’identifications politiques très divergentes qui n’avaient en commun que leur opposition au régime. Le Matzpen a donc servi de centre de ralliement de marxistes-léninistes de toutes tendances, de marxistes doutant du léninisme, d’opposants au capitalisme et à l’impérialisme qui trouvaient le marxisme désuet, de pacifistes qui trouvaient là le moyen d’exprimer leur refus de la guerre et pour une jeunesse anti-establishment qui voyait là une possibilité d’identification avec la nouvelle vague occidentale de gauchisme.
Seules les conditions particulières prévalant en Israël – fascisation grandissante au sein de la société juive et aggravation constante de l’oppression de la population arabe, tant en Israël que dans les territoires occupés – ont permis à des éléments si différents de travailler ensemble. Jusqu’à un certain degré on peut parler de travail commun, mais le manque d’identification politique définie est l’une des principales raisons de l’absence de ligne politique claire et conséquente – et une telle ligne est indispensable pour guider et promouvoir une action révolutionnaire significative. Et alors que les activités du Matzpen tout au long de l’année dernière ont trouvé un accueil favorable en Europe et aux Etats-Unis, et à l’intérieur du mouvement palestinien, c’est en fait la paralysie interne grandissante depuis plusieurs mois.
La répugnance du Matzpen à définir une position politique univoque vient avant tout du désir de préserver la structure organisationnelle la plus large possible, tout en renforçant l’unité interne. Ce souci était dicté par l’aspiration de maintenir à chaque étape du travail politique au moins le niveau d’activité de l’étape précédente ; dicté aussi par la supposition que l’activité sans relâche, de quelque ordre soit-elle, combinée avec le maintien de la « réputation » internationale, étaient les meilleurs moyens de parvenir au but – le combat contre le sionisme.
Ces conditions ont conduit le Matzpen à développer une approche pragmatique du travail politique. En ce qui concerne le travail parmi les masses laborieuses – tant juives qu’arabes – le Matzpen n’a pris des initiatives qu’en rapport étroit avec les développements circonstanciels ; cela est naturel, étant donné le manque de stratégie politique à longue portée, le manque de plan d’action, et le manque d’aptitude à s’engager dans un lent travail de base dont le fruit ne serait pas mûr avant longtemps. Quand des conditions objectives ont donné naissance en Israël aux combats ouvriers de 1968-69, l’O.S.I. a commencé à travailler en milieu ouvrier juif ; quand deux ans et demi après la guerre apparurent des signes de la « révolte de la jeunesse » (grâce aussi, reconnaissons-le, au travail de propagande du Matzpen) l’organisation concentra la majeure partie de son travail sur les étudiants et dans le milieu des jeunes. Mais une fois les combats ouvriers réprimés, et la jeunesse « calmée », le Matzpen lui aussi est devenu silencieux.
L’absence de ligne politique et les différences fondamentales de conception organisationnelle parmi ses membres ont également déclenché le processus de détérioration du travail de l’organisation. Les humeurs de chacun, l’énergie soudaine ou l’oisiveté individuelle devaient plus qu’autre chose définir les normes d’activité. La totale absence de discipline – tant organisationnelle que politique – provoqua une perte d’efficacité considérable dans une organisation qui, en dépit du centralisme démocratique de ses statuts, était fondée sur la spontanéité et sur la « liberté » de chacun de ne pas exécuter les décisions de la majorité plus que sur un quelconque centralisme démocratique. En même temps on pouvait assister dans l’organisation au renforcement de positions déniant au parti révolutionnaire le rôle de guide et de leader de la lutte des masses; déniant que la dictature du prolétariat soit une nécessité de la lutte des classes après la victoire de la révolution; négligeant le rôle de l’« Etat socialiste » comme territoire libéré et base pour le combat révolutionnaire jusqu’à la défaite finale de l’impérialisme et du capitalisme; ainsi se répandaient des positions qui exagéraient l’importance de la révolte contre « l’aliénation » (ici, au cœur du Moyen-Orient « sous-développé » !) comme motivation révolutionnaire et qui surestimaient l’importance des humeurs et des sentiments anti-establishment.
Dans le domaine de la propagande à l’intérieur du pays, et en dehors de quelques documents théoriques isolés, le Matzpen tend à embrouiller les racines du conflit israélo-arabe. En dépit de slogans justes et courageux sur le « nationalisme sioniste » et le « nationalisme arabe », le Matzpen tend à négliger le caractère purement colonial de la contradiction et à mettre l’accent sur ses dimensions nationales. Il ne s’est donc jamais particulièrement battu pour la rupture du monopole sioniste sur la terre, et défend une position ambiguë sur la question des droits nationaux des Juifs en Palestine-Eretz-Israël, et sur la signification du principe d’autodétermination. D’où ses conceptions sur l’Etat d’Israël qui ne serait qu’un instrument d’oppression capitaliste, destiné à être détruit par la révolution socialiste comme tous les autres Etats et non pas comme appareil d’oppression coloniale (en plus de son caractère capitaliste) méritant en tant que tel d’être considéré comme le principal ennemi tactique des révolutionnaires à l’intérieur d’Israël. D’où les illusions démocratiques que se fait le Matzpen sur la presse sioniste et les tribunaux, auxquels l’organisation s’adresse parfois quand l’appareil d’Etat, qui veut bien permettre au Matzpen de fonctionner, renie ses propres « principes démocratiques ».
Nous désirons répéter à nouveau que nous sommes conscients de la valeur de l’O.S.I. et de ses activités, tant dans ce pays qu’à l’étranger, où elle a contribué à dévoiler le caractère du régime sioniste, à radicaliser la jeunesse juive d’Europe et des U.S.A., à nuire à la position politique et morale du sionisme dans le monde entier, à encourager la « révolte de la jeunesse » à l’intérieur d’Israël, et à lancer un débat révolutionnaire dans la région.
Mais ne voyant aucune chance de réussite en continuant le combat à l’intérieur de l’organisation, pour l’adoption d’une conception organisationnelle correcte, pour la définition d’une stratégie politique basée sur un programme qui servira de ligne commune, nette et conséquente, soutenue par la majorité des membres; craignant que les principes idéologiques et organisationnels immobilisent complètement le Matzpen en tant qu’instrument de la lutte des classes dans la région, nous avons décidé sur la base d’une plateforme politique de quitter les rangs de l’organisation et de nous organiser sous le nom d’Alliance communiste révolutionnaire, afin de travailler pour atteindre nos buts politiques.
L’Alliance communiste révolutionnaire
- Réponse d’un camarade du Matzpen à l’Alliance communiste révolutionnaire: Phraséologie de gauche sur une ligne droitière
Le paragraphe 4 de la plate-forme de l’Alliance communiste révolutionnaire parle de « l’identification avec la lutte du peuple vietnamien, du peuple cubain, du peuple palestinien et de tous les peuples que la résistance héroïque à l’impérialisme n’amène pas seulement sur la voie de la révolution et de la participation à la lutte de classe internationale, mais… ». Que signifie cette comparaison entre la lutte palestinienne et celle du Vietnam et de Cuba ? Tout un chacun sait qu’au Vietnam et à Cuba la lutte a une signification très claire – socialisme contre impérialisme – et les camarades de l’Alliance communiste n’ont nullement besoin de se référer à nos textes pour savoir que la lutte palestinienne est une lutte nationale typique, qu’en tant que telle elle doit être soutenue comme lutte d’un peuple occupé et opprimé pour la défense de ses droits, contre la colonisation sioniste et contre la réaction arabe. Toutefois, il ne s’agit pas, et de loin, d’une lutte pour le triomphe du socialisme : les forces dominantes dans la région sont ouvertement nationales-réactionnaires et social-chauvines.
Pourquoi mélanger des choses qui doivent être séparées, sinon pour cacher par la phraséologie la différence profonde entre nationalisme – même d’un peuple opprimé – et socialisme, ce dernier étant anational de par son essence ? En ne faisant pas la distinction, on a l’air de dire aux Palestiniens : Vous êtes des socialistes à tous égards ; il n’y a pas de différence entre votre lutte et celle menée au Vietnam et à Cuba. En d’autres mots : Restez dans le marasme nationaliste – pour nous vous êtes et vous restez des socialistes.
Quelle lutte révolutionnaire que cela ? Et tout cela pour avancer la révolution socialiste dans l’Orient arabe ! Comment peut-on espérer favoriser la révolution quand le nationalisme est présenté comme socialisme ? On se distingue à peine de la position de Meïr Vilner, Emile Habibi et leurs semblables du Rakah (parti communiste israélien, dit pro-arabe, N.d.T.), pour qui le nassérisme est du socialisme.
Et plus loin dans la plate-forme, les paragraphes 16-17 : « La rupture avec l’idéologie sioniste d’une partie de la population juive ne sera possible qu’après l’aboutissement des trois processus liés entre eux : a) érosion progressive de la suprématie militaire de l’armée israélienne; b) aggravation de la crise économique à l’intérieur d’Israël; c) affirmation de l’alternative internationaliste par les mouvements de libération palestinienne et par le mouvement révolutionnaire arabe et pénétration de la prise de conscience anti impérialiste parmi les travailleurs juifs d’Israël. »
La rédaction de l’alinéa c) ci-dessus démontre bien que même de l’avis des rédacteurs de la plate-forme l’alternative internationaliste n’a pas encore été affirmée par le mouvement palestinien ; en d’autres mots, leur solution ne saurait être considérée comme étant socialiste. Pourquoi, alors, présenter la lutte palestinienne comme comparable à celle du Vietnam et de Cuba, et non pas, par exemple, comme étant sur le même plan que la lutte menée en Angola, en Rhodésie, etc. ?
Comment interpréter le fait qu’on considère l’érosion de la suprématie militaire israélienne comme une condition indispensable pour la rupture avec le sionisme de la part des travailleurs juifs ? Cela signifie : tant que sera maintenue la suprématie militaire de l’armée israélienne sur les armées arabes il ne saurait y avoir une action révolutionnaire significative parmi les masses juives exploitées en Israël. Il s’ensuit que seuls les facteurs extérieurs à Israël pourront abolir sa suprématie militaire. Or, si c’est du camp arabe qu’il s’agit, il est évident à mon avis que seulement un changement révolutionnaire profond d’une partie ou de la totalité de la société arabe pourra engendrer cette force armée populaire révolutionnaire capable d’affronter la suprématie militaire d’Israël, suivant une voie comparable à celle du Vietnam. Mais pour cela il faut une révolution dans la société arabe – c’est la condition la plus importante pour la constitution d’une force à la mesure de la puissance israélienne et de la puissance impérialiste.
La révolution victorieuse dans le monde arabe, dans son ensemble ou dans une partie, n’aurait peut-être pas à affronter un front uni nationaliste-colonialiste-chauvin ainsi que cela se présente aujourd’hui en Israël. Il se pourrait que justement à cause de son caractère révolutionnaire internationaliste, la révolution arabe propose aux masses juives exploitées la perspective d’une existence commune dans une entité nationale judéo-israélienne à côté ou à l’intérieur de la société arabe (sur la base du principe de l’autodétermination et d’abolition de toute forme ou idée d’oppression nationale). Une telle perspective sera de plus apte à susciter un appui populaire en Israël pour la cause révolutionnaire et, tout au moins, à créer une force capable de s’opposer aux tendances colonialistes, chauvines et militaristes du gouvernement israélien qui combattront la révolution dans la région. Dans le cas le plus favorable on verra des couches entières de la population israélienne rejoindre activement la lutte révolutionnaire. Telle est la situation, mais les camarades de l’Alliance communiste s’emploient à répandre la confusion la plus totale. J’aurais pu croire que ces camarades se trompent de bonne foi, si leur manifeste ne contenait pas des passages où la falsification intentionnelle voisine avec des mensonges grossiers.
« Dans le domaine de la propagande, tout particulièrement à l’intérieur d’Israël, le Matzpen entoure de “confusionnisme” son explication du conflit israélo-arabe, mis à part de rares documents théoriques ». En écrivant cela on laisse entendre qu’à l’étranger et dans quelques documents théoriques seulement le « confusionnisme » serait absent. Mais la vérité c’est que pas une seule de nos publications sur le sujet et pas une seule manifestation publique de notre part ne négligent de mentionner le caractère colonial et accapareur du mouvement sioniste, qui a abouti au déplacement du peuple palestinien arabe, considéré comme inférieur jusqu’à nos jours.
Les rédacteurs du manifeste n’en affirment pas moins, dans l’espoir de trouver quelque part un public attentif, que « le Matzpen a tendance à diminuer l’importance du caractère colonial prononcé du conflit pour souligner son côté national ». Ils ne se contentent pas de répandre des calomnies gratuites et aggravent leur cas en nous accusant de nous « abstenir de lutter pour l’abolition du monopole sioniste sur la terre » et nous reprochent d’avoir « une position ambiguë sur les droits nationaux des Juifs en Eretz-Israël-Palestine et sur la signification du principe de l’autodétermination ».
Que d’hypocrisie ! Voilà un groupe qui entretient une confusion voulue sur la lutte palestinienne, pour l’assimiler à tout prix à celle du Vietnam et de Cuba ; qui bégaie quand il s’agit de parler de l’autodétermination (au point de s’abstenir d’utiliser ce concept) et au lieu de cela parle des droits politiques de l’entité nationale juive en Eretz-Israël-Palestine (quels droits politiques ?), ce même groupe ose nous attaquer sur ce point et nous accuser de « confusionnisme ». Comme si nous ne luttions pas contre le Fonds national juif (organisme qui achète et détient les terres achetées sur fonds publics du mouvement sioniste), et comme si nous n’expliquions pas que seule la révolution sociale fournira le cadre pour la solution du conflit israélo-arabe (bien entendu, sur la base du droit à l’autodétermination, qui signifie la réintégration dans la plénitude de leurs droits de ceux qui ont été expropriés sans qu’on ait à exproprier leurs anciens ex-propriétaires ce qui aboutirait à une nouvelle oppression nationale).
Les calomnies du nouveau groupe continuent par des « allusions » sur nos prétendues illusions sur des recours aux tribunaux et sur l’existence du Matzpen « grâce au bon vouloir de l’appareil d’Etat », etc. Tout cela laisse entendre que le Matzpen ne serait qu’un groupe de petits bourgeois convenables, avec de bonnes intentions, faisant partie, en dernière analyse, de l’establishment. L’Alliance communiste, par contre, serait la seule à lever haut le drapeau de la véritable révolution. Mensonge et mauvaise foi !
L’Organisation socialiste israélienne (Matzpen) existe depuis ses débuts de par la volonté et la persistance librement consenties de ses militants, et non pas grâce au bon vouloir de qui que ce soit d’autre. Les considérations concernant une éventuelle requête auprès des autorités partaient toujours du souci de la défense de nos idées. Je ne connais pas un seul révolutionnaire sérieux qui ait refusé d’utiliser la tribune d’un tribunal ou qui s’est privé de demander l’autorisation de publier un journal pour la défense de ses buts. (Le cas auquel il est fait allusion est le suivant : le Matzpen n’a pas eu recours aux tribunaux jusqu’à présent. A un moment donné la discussion portait sur le point de savoir si l’on pourrait éventuellement utiliser les tribunaux comme tribune pour notre propagande. Personne parmi les participants à la discussion ne s’est jamais imaginé, toutefois, que la cour de justice puisse être l’endroit d’où jaillirait la vérité !).
Les camarades de l’Alliance communiste se veulent à la gauche du Matzpen, mais ils se trouvent en réalité à sa droite. Ils ont abandonné les positions internationalistes qui sont à la base de l’existence même du Matzpen. Oui, ils ont pris le tournant à droite, bien que ce soit en direction du nationalisme du peuple opprimé et non pas en direction du nationalisme du peuple oppresseur.
Une remarque sur les principes organisationnels : l’auteur de ces lignes est satisfait des principes organisationnels en vigueur dans le Matzpen, bien qu’il ne pense pas que le niveau du militantisme soit satisfaisant. Mais ce n’est pas un secret que d’autres camarades chez nous critiquent notre cadre organisationnel et préféreraient une discipline plus stricte et un niveau de militantisme élevé comme conditions d’appartenance au Matzpen. La question est importante et la discussion sur ce point est engagée dans notre organisation. Je ne vois donc pas pourquoi on en discuterait tout particulièrement avec les camarades de l’Alliance communiste. (La discussion interne sur ces questions trouve son expression également dans ce journal sans relation avec le départ du nouveau groupe.)
En conclusion, la voie adoptée par l’Alliance communiste, telle qu’elle se laisse deviner de ses premières publications, porte un tort à l’unité dépassant le cadre national des révolutionnaires socialistes arabes et juifs, en présentant le nationalisme de gauche comme internationalisme socialiste. Je pense néanmoins que notre organisation doit laisser la porte ouverte pour le retour des camarades sincères du nouveau groupe, que l’expérience ramènera vers nous.
Oded Pilavsky,
Matzpen, novembre 1970.
- Lettre d’Israc adressée au Matzpen et l’Alliance communiste révolutionnaire
Chers camarades,
Le groupe Israc de Paris a pris connaissance du manifeste publié par l’Alliance communiste révolutionnaire et de la réponse des camarades du Matzpen. J’ai été chargé de rendre compte de la discussion que nous avons eue, et qui a montré que nous avons du mal à saisir la profondeur des divergences qui ont pu justifier une scission. De l’extérieur, il nous est difficile de nous prononcer sur l’aspect organisationnel, sauf pour dire une chose : étant donné qu’une discussion est engagée à l’intérieur du Matzpen sur ce point, on peut se demander si le départ du groupe Alliance communiste révolutionnaire (A.C.R.) ne va pas à l’encontre du but recherché.
En ce qui concerne le débat politique, l’A.C.R. accuse le Matzpen de manquer de clarté sur « les racines du conflit israélo-arabe » et sur « la question des droits nationaux des Juifs en Palestine ». Soit, mais on ne précise pas, et alors on en est réduit à se perdre en conjonctures pour sonder les véritables intentions des rédacteurs du manifeste (comme le font d’ailleurs les camarades du Matzpen dans leurs réponses). Il semble bien que les camarades de l’A.C.R. ne mettent en cause ni le principe du droit d’autodétermination des peuples, ni l’existence « des droits nationaux des Juifs en Palestine-Eretz-Israël ». Mais en parlant de « Juifs en Palestine-Eretz-Israël », les camarades de l’Alliance communiste révolutionnaire (A.C.R.) se prononcent sur la direction où doit s’exercer obligatoirement l’autodétermination : un Etat unitaire (Palestine-Eretz-Israël), c’est-à-dire en réalité un Etat binational.
Or, on peut se demander si, à l’étape actuelle, il est juste ou même seulement possible de se prononcer sur la forme exacte des futures structures politiques. Une discussion sur ce point a eu lieu à l’intérieur de notre groupe Israc, et elle a trouvé son expression dans l’éditorial de notre revue.
Dans un article publié dans la revue Black Dwarf de Londres (14 juin 1969), signé par nos camarades A. Said et M. Machover, les auteurs adoptent une attitude critique envers la notion d’un Etat palestinien (« Si l’on pense à un Etat binational, il s’agira alors d’une création artificielle séparant les Arabes palestiniens du reste du monde arabe et du processus révolutionnaire qui s’y déroule »). Or, dans le numéro 1 d’Israc (mai 1969), sous la signature de nos camarades M. Machover et E. Lobel, il est question d’une solution judéo-arabe dans le cadre d’une patrie commune (« La création d’une Palestine démocratique, sans discrimination ethnique ou religieuse, quel que soit le groupe ethnique qui en détient la majorité, est la seule solution permettant une expression libre des droits des deux peuples »).
Cette apparente incohérence résulte de la nécessité dans laquelle nous nous trouvons de combattre en permanence deux types d’illusions. L’une consiste à croire qu’une solution puisse être trouvée au problème palestinien, indépendamment et isolément de la lutte révolutionnaire et anti-impérialiste de toute la région. L’autre qui lui est opposée et que nous devons combattre en même temps : croire que le socialisme au Moyen-Orient résoudra automatiquement tous ces problèmes ; nous devons nous élever contre une telle conception dans la mesure où elle implique que la lutte doive être ajournée jusqu’à ce qu’elle puisse être menée de façon concertée à l’échelle de la région. L’une et l’autre de ces conceptions ne tiennent pas compte des réalités du Moyen-Orient ni de la dynamique de la lutte. »
Et, plus loin, dans ce même éditorial qui a recueilli l’accord de tous nos camarades, nous précisons :
« Bien qu’il y ait des divergences dans notre comité sur les éventuelles étapes intermédiaires, nous sommes tous d’accord sur le but final, qui est la constitution d’un Moyen-Orient révolutionnaire et socialiste. C’est dans ce cadre plus large que les conflits nationaux trouveront leur solution sur une base internationaliste. »
Nous avons cru qu’au-delà de nos divergences sur le sens de l’autodétermination ou sur « le rôle de l’ “Etat” socialiste comme territoire libéré et base pour le combat révolutionnaire » – selon l’expression des camarades de l’A.C.R., il importe de souligner le nécessaire caractère régional du combat et des solutions à envisager. C’est là l’élément capital de la stratégie révolutionnaire du Proche-Orient. Les affrontements sanglants d’Amman ont certainement confirmé la justesse de cette analyse et ont démontré le danger mortel que constitue pour les Palestiniens l’isolement de leur lutte.
Or, sur ce point essentiel et même prédominant, le Matzpen et l’A.C.R. sont d’accord, puisque nous lisons dans le programme du nouveau groupe (parag. 20) :
« La question palestinienne ne pourra trouver sa solution que dans le cadre de la révolution socialiste, qui ne pourra se réaliser sans l’union sur une base internationaliste de toutes les forces révolutionnaires de la région ».
Et plus loin (parag. 27) :
« La victoire du socialisme ne pourra se réaliser sans la constitution d’un parti révolutionnaire de la région, qui dirigera les masses dans la conquête du pouvoir. »
C’est aussi la conclusion de l’éditorial d’Israc cité plus haut :
« C’est la tâche de nous tous, révolutionnaires de la région, d’œuvrer pour la formation d’une avant-garde révolutionnaire. Une telle force sera l’instrument pour la mobilisation des masses de tous les peuples dans une direction révolutionnaire. De cette manière la phase nationale de la lutte pourra être dépassée. »
Nous pensons, en conséquence, que la scission opérée par les camarades de l’Alliance communiste révolutionnaire ne se justifie point.
Paris, janvier 1971.