[Le texte publié est complet sauf pour l’introduction qui contient des remarques préliminaires sur la résistance palestinienne et la partie con sacrée essentiellement au récit des événements de septembre.]

PREMIERE PARTIE

I. Les conditions subjectives de la résistance

L’offensive de septembre a confirmé la justesse des analyses critiques du FPDLP en ce qui concerne la situation intérieure de la résistance (politiquement et idéologiquement). La résistance a payé très cher l’absence de toute théorie dans sa pratique politique et militaire en Jordanie et dans le reste des pays arabes, ainsi que dans ses relations avec le mouvement de libération, les pays et les forces socialistes.

L’absence de toute attitude révolutionnaire et la domination du courant patriotique affectif au sein de la résistance l’ont empêchée d’avoir une vie révolutionnaire. Une série de conséquences en résulta dans le domaine tactique et stratégique, et dans la formation militaire où le volontariat révolutionnaire n’a jamais eu cours et où les privilèges bureaucratiques – matériels et moraux – ont toujours dominé. Les lois de la guerre populaire de libération n’ont été ni comprises ni appliquées. L’absence de la théorie révolutionnaire qui devait orienter l’activité quotidienne et générale de la résistance a eu les conséquences suivantes :

a) La résistance s’est noyée dans une mer de privilèges et de bienêtre matériel et moral (« une révolution riche » !).

Cette opulence, créée de toutes pièces par la réaction et les bourgeoisies arabes, a provoqué d’importantes anomalies, dont les plus graves étaient l’absence de toute vigilance révolutionnaire vis-à-vis des plans ennemis et l’extension de la vie bureaucratique (bureaux, voitures, argent, relations quasi militaires entre la base et les dirigeants, etc.). Pour maintenir ces privilèges, il fallait conserver intact l’ensemble des relations arabes qui les assuraient.

b) L’absence de toute conception réaliste dans les relations avec les masses jordano-palestiniennes.

Certaines directions de la résistance se sont engagées dans la voie de la palestinisation de la question palestinienne sous le slogan de « non-intervention dans les affaires intérieures arabes » qui, traduit pratiquement en Jordanie, a largement contribué à saper l’unité du peuple jordano-palestinien, par la création d’organismes strictement palestiniens (Croissant Rouge, « Les Martyrs », syndicats ouvrier, étudiant, des artistes, des avocats, des journalistes, des écrivains, etc.). Cette opération s’est traduite verticalement par le refus de distinguer les classes contre-révolutionnaires des classes patriotiques et révolutionnaires, et donc par l’absence de tout programme révolutionnaire dans les relations avec les masses jordaniennes. Ce qui n’a fait qu’encourager les tendances de repli sur soi-même déjà alimentées par le régime réactionnaire, et mettre à l’écart les masses jordaniennes du processus révolutionnaire. Malgré tous nos efforts pour imposer un programme opposé, fondé sur l’unité organique du peuple jordano-palestinien (Front national jordano-palestinien ; dissolution des organisations régionalistes, etc.), toutes ces mesures acceptées après une dure lutte sont arrivées trop tard et n’ont pas été appliquées.

c) L’analyse erronée de la nature de la contradiction entre la réaction jordanienne et arabe en général et le mouvement de libération jordano-palestinien.

Sous le couvert de la primauté de la contradiction principale avec Israël sur la contradiction secondaire avec la réaction, la plu part des organisations de résistance n’ont pu comprendre la dialectique qui gouverne les contradictions. En revanche, la réaction en Jordanie – organiquement liée à l’impérialisme – a toujours considéré la résistance comme son ennemi principal ; ce qui rend caduque la thèse de la « primauté de la contradiction principale ». Dès lors la résistance devait commencer par résoudre la contradiction avec la réaction pour pouvoir lutter contre le sionisme et l’impérialisme.

La domination idéologique de la droite palestinienne, aggravée par ses analyses erronées, ont empêché la résistance de prendre l’initiative.

d) Les relations avec les régimes arabes.

Durant les trois dernières années, la plupart des organisations palestiniennes n’ont pas tenu compte, dans leurs relations avec les régimes arabes, de l’attitude de ceux-ci vis-à-vis de la question palestinienne et de l’impérialisme et n’ont pas saisi la nature des liens entre ce dernier et la réaction arabe. Financièrement intéressées, ces organisations ont délivré des absoutes aux régimes arabes, et par là même la résistance a entravé l’essor du mouvement révolutionnaire arabe et s’est coupée de lui. Totalement dépendante des régimes arabes et de leurs contradictions, les relations avec les masses restaient purement affectives… La résistance a récolté les fruits de la politique lors du massacre. L’accord du Caire imposé par les Etats arabes n’en est qu’un prolongement logique.

  1. Il a non seulement sauvé le trône hachémite mais l’a récompensé pour son agression (en livrant les villes à la seule autorité de son appareil répressif) ; ainsi la contre-révolution pourra poursuivre son œuvre dans les meilleures conditions, ce qui est conforme aux intérêts des régimes réunis au Caire.
  2. Cet accord a placé la résistance sous la tutelle des régimes arabes (par le biais du Comité supérieur arabe).
  3. Il sert les autorités hachémites dans leurs tentatives de saper l’unité du peuple jordano-palestinien, et favorise la liquidation définitive de la cause palestinienne (cf. « l’Etat palestinien » ).

II. La résistance entre la ville et la campagne en Transjordanie

a) Contrairement à la droite de la résistance – qui a toujours refusé de prendre part aux luttes des masses ouvrières en Transjordanie et d’éduquer politiquement les fellahs ou de les mobiliser contre les grands propriétaires – l’aile radicale (FPDLP) a présenté un programme axé sur ces tâches. Cependant il n’a pu pénétrer profondément parmi les masses jordaniennes, vu le manque de temps, la persévérance des autres organisations dans leur politique régionaliste et la vigilance agressive de la réaction. Profitant de cette situation, le régime a pu mobiliser de vastes secteurs de l’armée contre la résistance.

b) Comme l’a confirmé l’expérience de septembre, les villes et les camps de réfugiés sont le terrain essentiel de la résistance, de par la haute densité de la population et la politisation relative (partis, syndicats, etc.).

c) Elle a aussi confirmé que l’attitude de la campagne vis-à-vis de la résistance est radicalement différente de celle des villes et des camps, pour des raisons historiques, économiques et politiques :

Historiquement : Cantonné dans les villes et les camps, le mouve ment national n’a jamais touché la campagne ; son programme, qui traduit en partie les revendications démocratiques des villes, a négligé systématiquement la question agraire (lutte contre la grande propriété ; modernisation de l’agriculture ; scolarisation, etc.).

Economiquement : L’arriération générale de la campagne se tra duit par le primitivisme des outils et la médiocrité des récoltes (basse pluviosité : une année sur trois). La vie économique y dépend, en grande partie, de l’Etat et des plans réactionnaires de la classe dominante. 50% de ses revenus proviennent des fonctions administratives et de l’armée qui constitue une vaste source de revenus pour les campagnards et les bédouins. La fréquence des mauvaises récoltes met la campagne à la merci des « bienfaits » du régime qui a pour politique les dépenses improductives (services, secours) à l’exclusion des projets d’aménagements agricoles. Cette dépendance à l’égard de l’Etat s’accroît à mesure qu’on va du nord au sud (de 60 à 90 %).

Politiquement : La résistance s’est contentée de rendre quelques services médicaux et sociaux et d’échanges économiques primaires dans les villages (pour répondre aux besoins des bases avoisinantes). Tout programme de transformations démocratiques était absent. Aussi la campagne jordanienne ne trouvait-elle aucun intérêt matériel à donner son appui à la résistance. D’autre part, la Transjordanie, n’ayant pas connu l’occupation sioniste, sa paysannerie ne sentait aucunement le besoin de défendre le territoire national ou ses propres terres. Tout cela a jeté la paysannerie jordanienne dans les bras de l’Etat réactionnaire avec qui elle participe en partie au massacre. Nous assistons maintenant à une poussée contre-révolutionnaire dans la campagne qui s’approfondit du nord au sud.

Le rôle de la campagne dans la lutte de libération et contre le régime jordanien ne dépend pas tant de la densité de la population par rapport aux villes, que de la nature et de l’importance de son attitude vis-à-vis de la question nationale (appui à la résistance ou inimitié ; attitude favorable ou hostile des soldats d’origine rurale qui sont la majorité).

L’Etat et la révolution : Dans les pays sous-développés comme dans les pays avancés, l’Etat est l’instrument d’oppression d’une classe contre une autre. Mais cela ne signifie nullement que la révolution (démocratique nationale ou socialiste) ne peut gagner à elle certains secteurs (notamment parmi les couches inférieures) de l’armée, de la police ou de l’administration. Cela dépend de la profondeur du mouvement révolutionnaire d’une part et de l’origine sociale de ces secteurs.

En Jordanie, la réaction (le trône, les propriétaires fonciers, les bourgeois compradores) et l’impérialisme ont destiné l’appareil de l’Etat, dès avant 1948, à la répression du peuple et à la conspiration contre le mouvement de libération arabe (au service du mandat britannique et de la judaïsation de la Palestine, etc.). Depuis l’annexion de la Cisjordanie (au lendemain de la guerre de 1948), l’Etat hachémite, qui n’a subi aucune transformation, a continué à se mettre au service des mêmes maîtres. La montée du mouve ment populaire national a obligé le régime à une série de concessions en 1956 : révocation de l’état-major anglais de l’armée (Glubb Pacha, etc.) ; annulation du traité jordano-britannique ; échec de la tentative de faire participer la Jordanie au Pacte de Bagdad (émeutes de 1955 contre l’émissaire de ce pacte). C’était en réalité un recul tactique de la part du pouvoir, pour préparer son coup de force réactionnaire d’avril 1957.1

DEUXIEME PARTIE

L’offensive de septembre a confirmé la solidité de l’appareil de l’Etat (armée, police, administration, en tant qu’instrument entre les mains de l’impérialisme et de la réaction royaliste). Malgré le pilonnage d’Amman et de Zarka, pendant dix jours, les ralliements à la révolution ont été à la fois rares et individuels, en deçà des prévisions les plus pessimistes au sein de la résistance.2

Au sein des services de sécurité, la tendance générale était à la neutralité entre la résistance et l’armée, contrairement aux cadres supérieurs liés au régime. Dans les zones occupées par l’armée, ils étaient obligés d’accomplir leurs besognes habituelles (perquisitions, arrestations, etc.) afin de créer un climat de terreur.

Les échelons inférieurs de l’administration n’avaient pas le choix, puisque la guerre les empêchait de rejoindre leurs postes3, tandis que les cadres supérieurs (ministres, hauts fonctionnaires, ambassadeurs), tous réactionnaires, sont restés fidèles au trône.4

I. L’armée jordanienne

C’est une « institution professionnelle » et les rapports qui la dominent sont du type « patron-salarié ». La réaction royale a tout fait pour isoler l’armée du courant national ou progressiste. La littérature patriotique y est prohibée, de même que tout engagement politique. Les éléments patriotiques au sein de l’armée sont pour suivis et chassés. Au contraire, y domine l’idéologie réactionnaire qui fait du roi un patron ; et non seulement un patron, mais un patron entouré d’une auréole de sainteté conformément au mythe du « droit divin » des rois d’avoir une toute-puissance sur les individus et les biens ; sans compter l’enveloppe religieuse qui entoure la famille royale en tant que descendant du prophète… L’ensemble est couronné par l’emblême « Dieu, le Roi, la Patrie » ; patrie du roi, de la réaction et de l’impérialisme.

Afin de préserver l’armée à l’écart du mouvement des masses, le régime réactionnaire a refusé d’introduire la conscription ou le volontariat, et ce malgré la fallacieuse prétention de « libérer la Palestine ». En effet, la conscription aurait inéluctablement intro duit les courants patriotiques dans l’armée et entraîné le peuple à l’exercice des armes. Quand la monarchie décida le « service militaire obligatoire » en 1969, ce fut uniquement pour empêcher les jeunes de rejoindre la résistance. Elle ne tarda pas à y renoncer, quand elle s’aperçut que c’était une arme à double tranchant.

Malgré tout cela, l’ « institution professionnelle » n’a cessé d’opérer des épurations successives de tous les éléments soupçonnés de patriotisme.

Les bédouins (soldats et officiers) constituent l’ossature de l’armée, notamment pour les blindés et les forces de sécurité militaires. L’armée ne se contenta pas seulement des bédouins de Transjordanie mais fit appel à ceux d’Irak, de Syrie et d’Arabie saoudite… La proportion des non-Jordaniens est évaluée à 30 % des effectifs ; les bédouins de Jordanie atteignent aussi 30 %, tandis que les effectifs originaires des grandes villes ne dépassent pas 10 % dont la plupart occupent des fonctions administratives et techniques (mécanique, approvisionnement, etc.).

Parmi les 30% qui proviennent de Cisjordanie, un patriotisme vague, sans engagement précis domine chez les soldats, les sous-officiers et quelques officiers. Beaucoup d’officiers supérieurs sont des réactionnaires notoires et de fidèles serviteurs du trône. Les patriotes palestiniens ne purent donc jouer leur rôle au sein de l’armée.

De ce tableau social et idéologique de l’armée nous tirons les conclusions suivantes :

a) le problème n’est pas un problème de « Jordaniens » et de « Palestiniens » ; mais de la composition socio-économique et idéologique de l’armée. (A remarquer que les Cisjordaniens ne s’appuient nullement sur l’armée dans leur vie économique : fertilité des terres ; absence de féodalité, etc.) ;

b) la prédominance des bédouins dans l’armée en fait un instrument aveugle de répression entre les mains de la réaction ;

c) l’offensive de septembre est venue démentir tous les paris sur la possibilité d’un coup d’Etat militaire. Le mouvement national a donc une grande tâche, celle d’arracher l’armée des mains de la réaction et de l’impérialisme. A partir de là doit être défini le rôle des éléments patriotiques au sein de l’armée, comme partie intégrante du mouvement national de masse ;

d) développer une attitude patriotique (contre l’impérialisme et le sionisme), une conscience de classe (contre la réaction) parmi les paysans transjordaniens au sein de l’armée est une des tâches urgentes du mouvement de résistance. Pour les bédouins, la solution n’est pas rapide, et doit se faire progressivement (propagande et agitation, etc.).

L’expérience de septembre est venue confirmer concrètement – sous les obus et les bombes – la nature répressive de l’Etat entre les mains du trio contre-révolutionnaire (la monarchie + la réaction jordano-palestinienne + l’impérialisme). Le mouvement de résistance assimilera-t-il cette leçon ? Certaines fractions se rendront-elles enfin compte de ce qui se déroule autour d’elles, et où l’idéologie réactionnaire avec laquelle elles ne cessent de flirter les conduira ?

II. La situation arabe et l’accord du Caire

L’accord du Caire a constitué un « modèle » de l’attitude des régimes arabes réunis au sommet de septembre vis-à-vis de la résistance et du régime réactionnaire. La résistance a payé très cher ses relations avec les régimes arabes durant les trois dernières années.

La nature sociale, politique et idéologique des régimes arabes s’est traduite par une ligne politique stable à l’égard de la résistance, celle de la garder sous leur coupe afin qu’elle ne provoque aucun dérangement et de lui accorder en même temps (ou plutôt à certaines fractions) une aide qui la noie dans la politique officielle, loin des masses arabes. Chaque régime le faisait dans le cadre de ses propres intérêts et de ses relations internationales.

Certaines fractions de la résistance ont emboîté le pas à cette politique5 et se sont éloignées des mouvements de libération populaires arabes qu’elles ont remplacés par des rapports officiels avec les Etats, pour tomber enfin prisonnières de leur aide matérielle et morale. Incapable de présenter un programme révolutionnaire opposé à deux responsables des défaites de 1948 et de 1967, la résistance est devenue un prolongement des contradictions arabes, malgré les efforts contraires de la gauche palestinienne, partout combattue.

Les régimes arabes (excepté le régime syrien)6 se rencontrent sur la nécessité de la « sauvegarde de la résistance sous leur tutelle » et de la conservation de la monarchie réactionnaire d’Amman, ce qui n’est nullement nouveau (voir crise de juin 1970)7.

Les régimes réactionnaires qui ont signé l’accord du Caire sont conséquents avec eux-mêmes en voulant sauver un des maillons les plus importants de la contre-révolution dans la région.

De même pour les régimes patriotiques qui veulent sauvegarder la résistance pour faire pression sur l’impérialisme et le sionisme, mais qui ne veulent nullement d’une « résistance révolutionnaire ». Ils veulent aussi conserver la monarchie en tant que fenêtre sur l’impérialisme mondial, et facteur de sécurité pour Israël.8 Sa chute provoquerait de nouveaux bouleversements dans la région et donc de nouvelles responsabilités pour ces régimes.

L’accord du Caire (qui ne diffère pas tellement des autres) est donc conforme aux exigences de la situation créée par l’offensive tripartite (monarchie – réaction jordano-palestinienne9 – impérialisme). Il sauve le trône (alors qu’il était tombé aux yeux de l’opinion arabe et internationale) et résout la question de la dualité du pouvoir en faveur de la réaction, comme si l’expérience des quatre offensives n’avait pas existé et les leçons de la dernière n’avaient aucune place dans la vie de la résistance, des soldats et des peuples arabes.

Reconnue par les Etats signataires de l’accord, la réaction ne peut maintenant que poursuivre son offensive à partir de celui-ci.

TROISIEME PARTIE

I. Résultats de l’offensive

1.– La nature de la résistance est à l’origine de ses pratiques politiques, idéologiques, militaires et syndicales qui ont abouti à son recul, deux pas en arrière, au lendemain de septembre. Cela est dû à :

a) Certaines organisations n’ont pas voulu voir le problème central de la lutte, à savoir la question du pouvoir et sa résolution en faveur de la révolution. En d’autres termes, elles ne voulaient pas affronter sérieusement la réaction, ce qui était visible dans leur comportement au Nord et au Centre et dans les résultats du combat.

b) La nature des relations de certaines organisations avec les régimes arabes qui ont placé toute la résistance (y compris la gauche) sous la tutelle de leur politique officielle.

c) La nature politique et militaire de la résistance lui imposa d’affronter l’offensive impérialo-réactionnaire par une guerre de position, malgré tant de bruit fait autour de « la guerre populaire de libération ».

d) Paralysie de nombreuses énergies politiques et militaires au Centre et au Nord, de par l’absence d’une attitude politique claire (politique de la défensive…). D’ailleurs la résistance n’était nulle ment préparée à une lutte de longue haleine contre le régime.

L’expérience de septembre exige de la résistance une vaste révision critique de l’ensemble de ses pratiques politiques, militaires, idéologiques et financières. Il revient spécialement à la gauche de prendre l’initiative de cette autocritique et de la proclamer publiquement devant les masses ; sans quoi toutes les leçons de cette expérience seraient noyées dans la démagogie de la droite et dans les contradictions arabes.

La résistance doit maintenant comprendre les lois de la révolution et leurs liens dialectiques ; ce qui exige un programme d’action démocratique pour la zone jordano-palestinienne, susceptible de résoudre les problèmes des relations avec les paysans et les soldats. Autrement la résistance restera prisonnière de ses maladies et rentrera, bon gré mal gré, dans sa phase de vieillesse. Pendant cette étape la gauche a un rôle historique primordial à jouer.

2. – Le projet de l’Etat palestinien, comme partie d’un règlement politique, est plus que jamais débattu par les Palestiniens. Avant l’offensive, il était limité aux milieux réactionnaires (Jâbais, Kanâau, Chéadi, Farouki…). Depuis, tous les milieux internationaux (Américains, Britanniques, malgré leurs divergences, et Soviétiques) en parlent pour résoudre définitivement la question palestinienne. De même pour les Etats arabes (Maroc, Tunisie selon la politique bourguibiste des étapes ; déclaration de Heykal à la veille de sa démission, déclaration de Hussein après les accords du Caire ; voir enfin les déclarations des dirigeants israéliens avant et après l’offensive).

Ce qui est plus grave, c’est que l’offensive de septembre a fait que de larges secteurs de notre peuple sont prêts, pour la première fois depuis 1948, à accepter l’idée d’un petit Etat palestinien afin d’échapper au pouvoir royal barbare. Israël, l’impérialisme et la réaction s’accordent sur ce point : créer le climat objectif favorable à la naissance d’un tel Etat ; et par là même favoriser l’instrument palestinien susceptible de le promouvoir. Israël essaie de créer une troisième force palestinienne – qui n’est ni « les figures réactionnaires traditionnelles qui ont servi le trône hachémite », ni le mouvement de la résistance – avec un mot d’ordre : « Refus du retour du pouvoir réactionnaire royal, autodétermination en Cisjordanie et à Ghaza. » Cet appel trouve un écho assez large parmi les masses populaires dans les territoires occupés, d’autant plus qu’il est porté par des éléments bourgeois et petits-bourgeois non compromis patriotiquement (médecins, ingénieurs, avocats, instituteurs, etc.). En Jordanie, le régime a échoué dans ses tentatives d’utiliser la réaction palestinienne – trop compromise par ses trahisons historiques – dans un éventuel règlement…

La tactique du pouvoir consiste actuellement à tenter de créer cette « troisième force » au sein même de la résistance. Après l’offensive de septembre, un large courant palestinien s’est manifesté en Cisjordanie – comme réaction à l’échec de la résistance – prêt à accepter n’importe quelle solution qui le débarrasserait de la monarchie réactionnaire. Celle-ci essaie de réaliser politiquement ce qu’elle n’a pu obtenir militairement : diviser la résistance et liquider la gauche (cf. les déclarations sur la « reconnaissance unique de Fath et de l’Armée de libération »), en vue de liquider progressivement le reste, si elle échoue dans ses tentatives de gagner certaines organisations à l’idée de l’Etat palestinien.

En même temps, une campagne de terreur policière est en train d’isoler la résistance de son appui populaire, pour la liquider une fois encerclée dans ses bases, en dehors des villes. On poursuit aussi la politique de division du peuple jordano-palestinien (cf. la fédération jordano-palestinienne sous l’égide de la monarchie qui placerait le peuple palestinien entre le marteau israélien et l’enclume hachémite). Au cas où sa politique échouerait, le pouvoir engagera sa campagne d’extermination…

II. Que faire à la lumière de ces développements ?

La liquidation de la cause palestinienne, de la résistance et du mouvement national est maintenant concrétisée par une série de mesures pratiques :

  1. Poursuite de l’offensive politique et policière contre la résistance et les masses populaires (afin d’isoler totalement la première en vue de son extermination ou de sa participation aux projets suspects…). Intensification de la campagne favorable à l’Etat palestinien (en comptant sur une « troisième force » issue de la résistance. Plusieurs cadres pragmatistes s’y prêteraient…).
  2. Tirer immédiatement profit de l’offensive de septembre, à savoir sauvegarder la monarchie en Transjordanie en mettant en échec le projet de l’Etat palestinien sur les deux rives du Jourdain10 (armement des tribus royalistes afin de préparer le retour à la dictature réactionnaire).
  3. Israël poursuit sa campagne en faveur de la « troisième force » partisane de « l’autonomie » palestinienne…
  4. L’impérialisme et les puissances mondiales œuvrent de plus en plus en vue d’un « règlement » de l’ensemble de la question du Moyen-Orient (nécessité de faire participer les Palestiniens à ce règlement) et donc à la reconnaissance de l’Etat d’Israël.
  5. Les régimes réactionnaires arabes sont avec Hussein, ou, dans le meilleur des cas, avec les organisations de résistance qui ne représentent aucun danger pour eux. Ils sont favorables à n’importe quel règlement, mais ne peuvent en imposer aucun car ils sont, depuis 1948, au banc des accusés. Parallèlement les régimes patriotiques (excepté le régime syrien)11 acceptent la résolution du 22 novembre 1967 et le plan Rogers et sont favorables à un règlement qui aboutirait à la création de l’Etat palestinien.

Les derniers développements (mort de Nasser, apparition de la véritable attitude irakienne, après la campagne démagogique en faveur de la contre-révolution : l’impérialisme – le sionisme – la réaction arabe), ne font que favoriser les plans de la réaction jordanienne et arabe contre le mouvement de libération arabe.

III. Qu’en pense la résistance et qu’a-t-elle fait jusqu’à présent ?

Certaines organisations ont tout bonnement escamoté les véritables leçons de l’offensive de septembre, comme elles l’avaient fait auparavant, au niveau de leurs relations, de leur programme et de leur organisation interne. Elles piétinent donc sur place. Les organisations progressistes essaient de tirer les leçons et de pousser en avant le mouvement. Mais à cause des rapports de force qui dominent la résistance, celle-ci a payé très cher les erreurs de certaines de ses fractions. Que signifie cela ?

Remarques préliminaires :

Ce mouvement de la résistance vit actuellement une crise cruciale : politique, militaire et organisationnelle. De l’attitude à prendre dépendra donc le sort de la révolution et de la cause palestiniennes. Jusqu’à présent :

  • on a essayé d’escamoter la crise interne de la résistance, les erreurs politiques et militaires – au Nord et au Centre – qui ont été déterminantes dans l’issue de la bataille de septembre. Ce qui signifie la poursuite des mêmes erreurs tactiques et stratégiques12 ;
  • le comité central de l’OLP n’a esquissé – jusqu’à présent – aucune critique de ce qu’a fait la résistance depuis trois ans, et notamment lors de la crise de septembre… Malgré notre insistance sur la nécessité d’une telle critique, certaines fractions tiennent à noyer la résistance dans l’engrenage des détails quotidiens ;
  • parallèlement, certaines organisations s’emploient, en ce mo ment, à constituer « des structures administratives, organisationnelles et militaires » vides de contenu, entachées de démagogie et qui ne servent nullement l’unité des forces révolutionnaires. Elles essaient de généraliser l’unité administrative imposée à la résistance après l’offensive (sans égard au programme d’action), et mettent au premier plan la question de l’unité militaire (sans parler de ses prémisses politiques-révolutionnaires). Cela, ajouté aux tentatives d’étendre cette situation au Liban, signifie ignorer la crise réelle que connaît la résistance, et présente le problème sous un faux jour, comme étant entre ceux qui veulent l’unité des forces palestiniennes et ceux qui la refusent. Ce qui sert les intérêts de la contre-révolution, puisqu’on veut priver la révolution de ses forces les plus radicales et les plus sûres, et donc empêcher la résistance de jouer son rôle dans le mouvement révolutionnaire arabe…

Les appels démagogiques à l’union nationale qui négligent son programme politique et ses tâches actuelles sont des appels mystifiants et donc suspects, analogues à ceux de Tripoli pour l’unification de la résistance en une seule organisation (facile à mettre sous la tutelle des régimes arabes).

Le problème fondamental revient à examiner la crise organique de la résistance (politique, idéologique, organisationnelle et militaire), et à élaborer un programme d’action pour un front national uni capable d’affronter les tâches de la libération démocratique palestinienne et arabe.

La période actuelle exige la participation démocratique de toutes les organisations à l’élaboration de la politique du mouvement, à la lumière des expériences passées et loin des déclarations démagogiques et irresponsables. Cette phase difficile demande un effort collectif organisé et un dialogue calme et ouvert, susceptible d’aboutir à un programme commun et à une union nationale réelle à tous les niveaux : politique, organisationnel et militaire.

Jordanie : FPDLP.

Novembre 1970.

[voir le suivant : Colloque sur la conception matérialiste de la question juive]

 

  1. Révocation du gouvernement national de Naboulsi ; épuration de l’armée des officiers patriotes. Ce n’est pas par hasard, d’autre part, si le même Habès Majali – gouverneur militaire pendant le massacre – avait occupé les mêmes fonctions à cette époque.
  2. – El Fath ne voulait croire que l’armée allait entrer à Amman ni qu’elle serait si violente ; comptait sur les divisions internes et sur la désertion de tous les « Palestiniens ».

    – Le FPDLP a éliminé dès le début la possibilité d’un coup d’Etat comme il le refusait par principe de son côté; ne prévoyait pas l’ampleur de l’offensive; escomptait des divisions au sein de l’armée si la résistance pouvait tenir pendant une semaine au moins.

    – La Saïka comptait sur le « courant patriotique » au sein de l’armée, qu’elle pensait très puissant.

    – Le FPLP pariait sur des divisions immédiates au sein de l’armée ; en juin, il avait déjà dit que l’armée était sur le point d’éclater si la résistance avait tenu 48 à 72 heures.

    – Le Front arabe de libération était sûr de l’éclatement de l’armée et de ses propres capacités d’en paralyser de vastes secteurs.

  3. En 1955, lors des émeutes contre le Pacte de Bagdad, l’appareil administratif a répondu à l’appel du mouvement patriotique en déclarant l’insoumission civile et en descendant dans la rue avec les masses pour tenir en échec les projets de la réaction.
  4. Une seule exception : Anton Atallah, ministre des Affaires étrangères de Rifai, a déclaré à New York qu’il refusait d’avoir des rapports avec un gouvernement militaire sanguinaire.
  5. Voir Rapport sur la crise de la résistance.
  6. Ecrit avant le coup d’Etat d’Assad.
  7. Durant la crise de juin, la plupart des régimes arabes ont gardé le silence pendant trois jours et ont ensuite accusé la gauche de la résistance et les extrémistes royalistes (cf. déclarations de Kadafi). Après l’échec de l’offensive, les régimes arabes sont intervenus pour définir les relations entre la résistance et la monarchie (Sommet de Tripoli Comité des Quatre et Comité des Cinq du 31-8-1970 et du 1-9-1970).
  8. Cf. les menaces américaines et israéliennes d’intervention pour dé fendre la monarchie contre l’intervention syrienne.
  9. La réaction ne s’intéresse pas outre mesure à ses origines régionales. Le chef du gouvernement militaire (Daoud) et celui qui l’a suivi (Toukan) sont tous deux Palestiniens.
  10. Ce qui est illustré par le gouvernement Wasfi Tall, agent notoire de l’Angleterre.
  11. Ce texte est écrit avant le coup d’Etat d’Assad.
  12. Le FPDLP a pris des mesures organisationnelles radicales dans le secteur Nord, après les erreurs politiques et militaires commises par la direction de cette région.