Giyora Neumann. Un an dans une prison militaire (photo: Martin Barzilai)

Entre 2007 et 2017, le photographe Martin Barzilai a rencontré à plusieurs reprises une cinquantaine de ces Israéliens dits « refuzniks », qui refusent, pour des raisons politiques ou morales, de servir une société militarisée à l’extrême où le passage par l’armée est constitutif de la citoyenneté. Voici l’interview, tirée du livre, avec l’un des refuzniks, Giyora Neumann, membre de Matzpen.

GIYORA NEUMANN
55 ANS, JOURNALISTE, TEL AVIV
2009

« J’avais 17 ans en 1971 quand j’ai été emprisonné pour avoir refusé de faire mon service militaire et afrirmé mon opposition à l’occupation des territoires palestiniens. J’étais militant de Matzpen, un parti politique socialiste, révolutionnaire et antisioniste. J’étais aussi contre l’occupation pour des raisons personnelles. Ma famille avait souffert d’une autre occupation en Pologne. C’était un sentiment très fort dans mon entourage. Moralement, mes parents comprenaient ma position même s’ils avaient peur. Peut-être que d’un point de vue sociétal, ils en ont plus souffert que moi.

J’étais le premier à refuser et je ne savais pas du tout ce qui allait m’arriver. Dans mon organisation politique, le soutien était loin d’être total. Officiellement, le parti défendait le droit au refus, mais le discours interne était qu’il fallait effectuer son service pour se fondre dans les masses. Ceux qui me soutenaient étaient les moins dogmatiques.

J’ai passé un an dans une prison militaire, de novembre 1971 à novembre 1972. À l’époque, la cohésion nationale était très forte. Aujourd’hui, on peut finalement faire plus de choses, parce que la plupart des gens ne se sentent pas concernés. En 1971, ma position était particulièrement provocatrice. Dans la presse les journalistes me traitaient de lâche.

L’armée avait peur de l’effet domino. Ils ont usé de bien des moyens pour me persuader d’arrêter mon insoumission. Certains généraux sont venus me voir en cellule en jouant sur une corde sensible de gauche : “Nous avons besoin de gens comme toi dans l’armée, il ne faut pas laisser le champ à l’extrême droite.” Ils essayaient de me convaincre que nous étions dans le même camp. En haut lieu, Moshe Dayan, le ministre de la Défense, avouait son désarroi face à mon cas.

C’est Golda Meir, alors Premier ministre, qui décida de me laisser en prison. Il faut croire que pour eux, j’étais très dangereux.

Mon affaire a fait débat dans la gauche israélienne. En 1972, les conséquences ne se firent pas attendre : des réservistes refusèrent d’aller dans les territoires occupés. Par la suite, un nombre grandissant d’Israéliens sionistes, de gauche modérée, acceptaient de faire l’armée mais refusaient de franchir la ligne verte.

En prison, j’ai pu voir la société israélienne d’en bas, des personnes extrêmement pauvres. Aujourd’hui, je ne regrette absolument pas. C’est sans doute l’acte de ma vie qui a le plus de sens !

Après mes études, j’ai travaillé comme journaliste pour un magazine d’opposition auquel participaient les dissidents de toutes sortes. Je n’ai jamais eu trop de problème pour trouver un emploi parce que je n’ai jamais essayé de travailler avec l’establishment. »

—————

Refuzniks – Dire non à l’armée en Israël

Ils s’appellent Tamar, Yaron ou Gal, ils sont étudiants, agriculteurs, postiers, anciens officiers ou parlementaires. Ils vivent à Tel Aviv ou à Jérusalem, ils ont 20, 40 ou 60 ans.

Entre 2007 et 2017, le photographe Martin Barzilai a rencontré à plusieurs reprises une cinquantaine de ces Israéliens dits « refuzniks », qui refusent, pour des raisons politiques ou morales, de servir une société militarisée à l’extrême où le passage par l’armée est constitutif de la citoyenneté.

En filigrane, ces refuzniks racontent toute l’histoire d’Israël, ses failles et ses contradictions, son caractère pluriel. Et dressent le portrait d’une société où tout devra être repensé pour construire un futur moins sombre.

Martin Barzilai est né à Montevideo, en Uruguay. Il obtient en 1994 le diplôme de l’École nationale supérieure Louis-Lumière à Paris. Il parcourt ensuite l’Amérique du Sud, où il s’intéresse aux problèmes politiques et sociaux. Il réalisera aussi plusieurs reportages en Israël-Palestine et en Tunisie. Il collabore à de nombreux titres de presse français (Le Monde, Télérama, Courrier international, L’Obs) et internationaux (New York Times, Time Out). Il conjugue commandes de presse et travail indépendant.

Édition Libertalia, 2017.

https://www.librairielibertalia.com/web/refuzniks.html